Pleasure (2021) Ninja Thyberg
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Pleasure (2021) Ninja Thyberg
Derrière les portes roses
Née au milieu des années 1980, Ninja Thyberg effectue des études de cinéma et, féministe, s’intéresse au genre et au traitement de la sexualité. Elle tourne quelques court-métrages, dont les sujets sont souvent des jeunes femmes, inversant parfois les rapports de domination habituellement présentés entre les garçons et les filles. C’est une façon pour elle de mettre en image l’empowerment et le female gaze, dans une perspective militante mais pas forcément agressive. En 2013, son court-métrage Pleasure est sélectionné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes et se fait remarquer. Après une longue préparation, qui la conduit à côtoyer plusieurs membres de l’industrie pornographique de Los Angeles, elle le traduit en un long-métrage qui reçoit le label Cannes 2020 dans cette fameuse édition qui n’a jamais eu lieu. La trajectoire du film passe aussi par le festival de Sundance ainsi que celui de Göteborg, où il reçoit le prix Fipresci de la critique.
Quand elle arrive à la douane américaine, celle qui bientôt se fera appeler Bella ne répond pas à l'officier qu'elle va y séjourne pour le travail. Pourtant c'est bien pour être une star de l'industrie pornographique qu'elle a quitté sa Suède natale et débarque à Los Angeles. Lors de son premier tournage, on lui pose de nombreuses questions, s'assurant qu'elle est bien consentante et s'efforçant de comprendre quelles sont ses limites. Elle se prépare pour la scène puis l'assistant lui présente plusieurs ustensiles qu’il qualifie « de fille », dont un liquide qu'elle ne reconnaît pas. Tout le monde se moque alors d'elle, lui demandant si dans son pays on ne fait pas de douche vaginale. Durant le tournage, intense, elle éprouve un malaise et demande que l'on fasse une pause, hésitant même à en venir au bout. Un membre de l'équipe vient alors lui parler doucement, lui expliquant que c'est normal d'avoir le trac et qu'elle ne doit pas se forcer si elle ne veut pas continuer.
L'industrie de la pornographie est la vedette de Pleasure. Le film nous fait entrer dans les coulisses de ce monde qui s'affiche sous des atours de glamour. Ainsi avec une imagerie pop, Ninja Thyberg nous fait entrer, par le prisme de son personnage principal, dans ce monde plein de fêtes au bord de piscine où le champagne coule à flots. En contrepoint, elle nous montre des conditions de tournages moins idylliques. D'une part elle insiste bien sur le fait que c'est un métier avec des codes établis. Ainsi assiste-t-on à tous les préparatifs des scènes, éprouvants pour les actrices, et leurs déroulés, plus techniques qu’ils ne veulent le laisser croire à l’écran. Sans compter les injonctions à la performance, autant pour les acteurs qui se font parfois des injections de produits dopants, que pour les actrices, sommées de faire mine d’atteindre rapidement la jouissance, plusieurs fois par scène, et les séquelles psychologiques qui en découlent très souvent.
Au-delà de ce décorum, Pleasure raconte l'amitié d'un groupe de jeunes femmes. Avec ses colocataires, qu'au début elle ne veut pas vraiment croiser, la protagoniste du récit va peu à peu créer des liens de sonorité. Toutes engagées dans une même galère, elles se soutiennent et tentent d'opposer à ce monde d'hommes, qui les exploitent, une solidarité à toutes épreuves. Cet aspect du film est assez bien mis en scène, et la progression de leurs relations est progressive et apparaît naturelle. C’est tout aussi valable envers les collègues de cette Bella, qu’elle admire quand elle arrive dans ce milieu mais dont elle se rend compte de la potentielle duplicité. C’est d’ailleurs en cela que le film n’avance pas masqué, et il présente tout autant les rivalités mesquines entre les actrices, tout en apportant un contrepoint nécessaire. Car sans en faire une généralité, Ninja Thyberg nous fait comprendre que c’est très souvent par nécessité, mais aussi par effet de miroir, qu’elles adoptent ces attitudes de défense.
L'aspect le plus saillant de Pleasure reste ainsi le regard d'une femme, scandinave de surcroît, sur cet univers machiste. Cela n’a rien d’étonnant, et l’on peut d’ailleurs considérer certains aspects du film comme programmatiques à cet égard. Mais cela est assez finement exposé, sans lourdeur ni schématisme. Ainsi Ninja Thyberg met-elle un point d’honneur à nous faire comprendre combien l’industrie de la pornographie a intériorisé les mécanismes de consentement. Lors des castings, les actrices signent de nombreux formulaires, vidéo à l’appui, protégeant juridiquement les studios contre des éventuels recours en justice de leur part. Seulement, la réalisatrice présente assez judicieusement certaines situations ou la notion de consentement se situe parfois dans la fameuse zone grise, et que bien souvent les actrices, dans l’industrie pornographique, subissent malgré tout une pression forte, redoublée par la crainte de ne plus travailler. Toutes ces réflexions sont du reste délicatement intégrées au récit.