Lucky strike (2020) Kim Yong-Hoon
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Lucky strike (2020) Kim Yong-Hoon
Rififi à Pyeongtaek
Jusqu’à présent, Yong-hoon Kim n’avait réalisé que des court-métrages. Pour son premier long, il a choisi d’adapter une œuvre du romancier japonais Keisuke Sone. Primé au Festival de Rotterdam, le film se veut l’héritier d’une longue lignée de polars coréens. Le pays regorge ainsi de spécialistes du thriller, à commencer par Park Chan-wook dans les années 1990. Quelques pépites du genre nous en arrivent régulièrement, et certains noms se sont imposés comme Kim Jee-woon ou bien Na Hong-jin. Si l’on observe d’ailleurs le casting de Lucky strike, on peut y voir des stars coréennes qui sont apparues dans de nombreux films. On retrouve Jeon Do-Yeon, qui avait reçu le Prix de la meilleure actrice du Festival de Cannes pour son rôle dans le Secret sunshine de Lee Chang-dong. Elle donnait aussi la réplique dans The housemaid à la vétérane Youn Yuh-jung, qui interprète ici une aïeule coriace à la langue bien pendue. Le réalisateur était d’ailleurs ravi de pouvoir pour son premier film réunir un si beau casting.
En faisant le ménage dans le sauna où il est employé, Joong-man découvre un bagage de luxe plein de billets de banques dans un casier. Il prévient alors son remplaçant qu’il doit le descendre dans la réserve et hésite à le rapporter chez lui avant de se raviser. Quand il rentre à la maison, son épouse Young-sun est en train de nettoyer le sol car sa mère s’est oubliée dans l’entrée. Tandis qu’il lui demande de porter des couches, elle lui répond que Young-sun est une incapable et qu’il est un fainéant, avant de se remémorer de l’époque où le restaurant qu’elle gérait alors avec son mari était plein de clients. De son côté, l’employé du bureau de l’immigration Tae-young reçoit un message lui donnant rendez-vous dans un entrepôt. Il y rencontre Du-man, un usurier qui lui doit de l’argent. Il lui demande une semaine de plus pour le rembourser : il comptait sur sa compagne Yeon-hee, qui a disparu du jour au lendemain sans lui laisser d’adresse, mais il a un plan pour récupérer de l’argent.
Le scénario de Lucky strike est assez bien écrit. Sa construction nous réserve de nombreuses surprises, sans toutefois se révéler trop touffue. Le spectateur n’est ainsi jamais perdu malgré la profusion de personnages et d’intrigues qui au début peuvent décontenancer. Mais on se rend compte très rapidement que quelque chose doit bon an mal an relier toutes ces histoires a priori dissemblables, et on se réjouit à se livrer au petit jeu des suppositions. Les rebondissements s’enchaînent et le rythme ne décélère pas, si bien que le film passe à une vitesse stupéfiante sans jamais ennuyer. C’est un bon vieux polar à l’ancienne, avec sa pluie battante et ses lieux interlopes peuplées de gueules cassées et de femmes fatales. On retrouve ce genre cinématographique classique, qui fonctionne toujours, et en l'occurrence relativement bien modernisé. La résolution de l’intrigue en elle-même n’est d’ailleurs pas forcément une fin en soi, et même si elle est amusante à suivre, le film peut valoir aussi d’autres atouts.
Car comme la plupart des thrillers coréens, Lucky strike est une jolie métaphore de la société contemporaine. À l’instar d’un Parasite où la lutte des classes occupait le sous-texte, le film met en avant les dérives de notre société capitaliste. C’est d’ailleurs intéressant de voir que le livre dont il est adapté se déroule au Japon durant la phase de déclin suivant une croissance économique immodérée. Ici, l’action se passe dans la Corée du Sud contemporaine, mais on y retrouve de nombreuses similitudes, et l’argent roi y est toujours maître. Si ce n’est pas un pamphlet, de nombreux sujets sont abordés, de la condition des femmes à l’immigration clandestine, sans que cela ne vienne surcharger le récit. C’est d’ailleurs en creux que le film revendique sa singularité, puisqu’un des personnages clés y est une femme dont le rôle ambigu ne manquera pas de marquer les esprits : on est loin des personnages d’icônes vénéneuses mais un peu trop figées catégorisées parfois par le genre.
Si le rythme de Lucky strike tient la route, c’est en grande partie dû à une mise en scène tout à fait maîtrisée, qui refuse le tape-à-l’œil pour mieux nous surprendre dans de brefs et inattendus accès de violence. Le réalisateur peut compter pour l’épauler sur une équipe technique tout aussi aguerrie que son casting. Le directeur de la photographie, Kim Tae Sung, fidèle collaborateur de Kim Seong-hun, à qui l’on doit le film Tunnel ou bien la série Kingdom, nous propose ici un travail minutieux sur la lumière, où chaque personnage bénéficie d’une tonalité différente. De même le compositeur Nene Kang nous offre une partition musicale particulièrement harmonieuse. Contrairement à bon nombre de réalisateurs coréens, Kim Yong-Hoon choisit de placer la violence hors-champ. Si l’on est surpris une ou deux fois par une brutalité que l’on n’attendait pas à cet endroit, le réalisateur prend le soin de nous épargner certaines images. Une coquetterie peut-être, mais que l’on peut considérer comme de l’élégance.