In the mood for love (2000) Wong Kar-wai
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In the mood for love (2000) Wong Kar-wai
La pudeur des sentiments
Quand il commence à envisager In the mood for love, Wong Kar-wai prévoie de raconter trois histoires, qui marient nourriture et histoires d’amour. Finalement, c’est l’un d’entre elle qui devient le sujet principal du film, et qui d’ailleurs servira de pont avec son film suivant, 2046, qui est ici le numéro de l’appartement que loue le personnage interprété par Tony Leung. Si le long-métrage se déroule en 1962, ce n’est pas anodin, puisque c’est l’année où des émeutes commanditées par la Chine, et qui n’interviennent aucunement dans le récit, éclatent dans ce territoire britannique. Au moment au le film est tourné, Hong-Kong vient d’ailleurs d’être rétrocédé à la Chine, ce qui a marqué le tournage, tout autant que la crise économique que traversait alors l’Asie du Sud-Est. Présenté au Festival de Cannes, le long-métrage vaudra à Tony Leung le Prix d’interprétation masculine, et il sort en version restaurée pour ses vingt ans (qui auraient dû être célébrés en 2020).
À Hong-Kong, en 1962, Madame Chan et Monsieur Chow emménagent le même jour dans deux appartements contigus. Le mari de Madame Chan est souvent parti en voyage d'affaires et elle travaille comme secrétaire dans une agence de voyages. Chow, de son côté, est journaliste ; il souhaite prendre des congés pour partir en vacances avec son épouse. Un jour, conseillé par ses voisin, impressionnés par l’autocuiseur qu’a rapporté le mari de Madame Chan du Japon, celle-ci lui demande d’en acheter un pour Chow, dont l’épouse travaille souvent tard le soir. Quand Chow veut le rembourser, il lui dit que sa femme l'a déjà fait : il prétend qu’elle n'a pas eu le temps de le lui dire. Il lui demande si son épouse est là car il souhaiterait qu'elle lui procure des billets d'avion pour un ami. Celui-ci, qui la trouve charmante, taquine Chow, lui disant qu'avec une voisine comme elle, son épouse devrait se faire du souci. Mais Chow lui répond qu'il est fidèle et heureux en ménage.
C’est une magnifique histoire d’amour empêchée qui nous est racontée dans In the mood for love. Parfaitement découpé en trois parties, le film débute par une rencontre entre un homme et une femme, que le voisinage et les affinités respectives vont rapprocher. Ils vont vite comprendre que leurs époux ont une liaison, ce qui va renforcer cet étrange lien, mais qui va tout autant les séparer. Car ils vont alors rejouer, de façon à la fois malsaine et complice, ce qui a pu se passer entre ces deux adultérins, qui seront, jusqu’à la fin, absents du cadre. L’attirance se renforce entre les époux délaissés, mais ils ne peuvent se résoudre à reproduire ce qui pourtant les lient l’un à l’autre. Wong Kar-wai le reconnait, ce qui l’intéresse ici n’est pas l’aboutissement de la liaison, thème qui a été raconté de nombreuses fois au cinéma. Ce que nous expérimentons, c’est la montée du désir, et les multiples potentialités de gestes inachevés. Quizás, quizás, quizás, comme le dit la magnifique chanson qui accompagnent certaines scènes.
Mais In the mood for love, c’est aussi l’histoire d’une époque, et des personnes qui l’ont traversée. Wong Kar-wai est né à Shanghai, et il déménage avec sa mère à Hong-Kong au début des années 1960. Tous les personnages du film appartiennent à cette communauté, qui à cette époque restaient souvent entre eux. Des décors aux costumes en passant par la musique, tous les éléments de cette période sont retranscrits de façon parfaite. Bien sûr cet ancrage temporel permet au réalisateur de mettre l’accent sur la place de la femme, pas encore libérée, et sur le poids à la fois des traditions et de cette communauté qui certes crée du lien social mais aussi enferme les individualités. Madame Chan et Chow se sentent scrutés par leurs voisins, ce qui concourt au sentiment d’empêchement qui les étreint. Même la fuite n’apparaît pas comme une solution complètement satisfaisante.
La mise en scène de Wong Kar-wai trouve avec In the mood for love une apogée resplendissante. Il multiplie les plans inédits, parvenant à poser la caméra au bon endroit, disposant de façon parcimonieuse mais efficace des ralentis. La lumière et les couleurs qui irriguent le film lui offrent un écrin visuel magnifique, et l’élégance de la mise en scène n’a d’égal que celle des tenues qu’arbore Maggie Cheung. Que dire de son interprétation, et de celle de Tony Leung, sinon qu’ils trouvent là un diapason formidable, incarnant avec finesse ces deux êtres tourmentés au destin tragique. Bien entendu, la bande originale du long-métrage reste en mémoire longtemps après son visionnage, et son thème principal, composé par Shigeru Umebayashi, et qui d’ailleurs provient de la bande-son d’un autre film, participera de sa reconnaissance internationale. On peut le voir et le revoir avec toujours le même plaisir, découvrant des détails cachés, fondant encore et encore devant ce mélodrame pudique et distingué.