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La rue de la honte (1956) Kenji Mizoguchi

La rue de la honte (1956) Kenji Mizoguchi

Publié le 31 oct. 2021 Mis à jour le 31 oct. 2021 Culture
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La rue de la honte (1956) Kenji Mizoguchi

Femmes, je vous aime 

La prostitution au Japon a fait l’objet d’un décret en 1956, indiquant que « nul ne peut se prostituer ni devenir un client », puis d’une loi l’interdisant l’année suivante. Si La rue de la honte n’esquive pas le sujet, il met plutôt au centre de son récit cinq femmes exerçant ce métier. Du reste, Kenji Mizoguchi n’en est pas à son premier fait d’arme en la matière. En 1936 il mettait en scène dans Les sœurs de Gion une geisha qui se rebellait. Si toute sa carrière sera peuplée de figures féminines asservies par les hommes, c’est peut-être dans son dernier film qu’il aborde le sujet le plus frontalement, situant son récit dans une maison close. Il adapte pour ce faire un roman de l’écrivaine japonaise Yoshiko Shibaki avec l’aide du scénariste Masashige Narusawa. Ses interprètes incluent Machiko Kyō, qui vient de tourner dans Rashōmon et Les contes de la lune vague après la pluie, mais aussi Ayako Wakao, Michiyo Kogure et Kumeko Urabe, dont les carrières croiseront également Akira Kurosawa et Yasujirō Ozu.

Dans une maison de tolérance tokyoïte, la tenancière, qui se fait appeler Madame, se plaint à un officier de police, lui faisant part de ses difficultés financières et de ses craintes vis-à-vis du projet de loi en cours destiné à interdire la prostitution. Quand il en parle aux filles qui travaillent dans l’établissement, les opinions qu’elles expriment divergent. L’une d’entre elles soutient ce projet, tandis qu’une autre lui rétorque qu’elle n’aurait pas les moyens de subsister sans ce travail. Quoi qu’il en soit, des députées doivent effectuer une inspection le soir même, et le patron recommande d’éviter toute forme de racolage actif. Le drapier d’en face est de passage, et Madame lui reproche, derrière son dos, de passer trop de temps à s’amuser au détriment de son activité commerçante. Yasumi, de son côté, passe du temps avec un de ses clients réguliers, qui l’a demandée en mariage. Le problème est qu’elle a de nombreuses dettes, qu’il devra acquitter s’il veut qu’elle accepte.

Par le prisme de cette maison de passes, c’est ainsi le destin de cinq femmes que nous raconte La rue de la honte. Yasumi a besoin d’argent car son père est en prison pour une affaire de fraude, et elle va mener un de ses clients par le bout du nez pour parvenir à ses fins. Yumeko ne pense qu’à son fils, qu’elle a laissé à la campagne chez ses beaux-parents, et qui n’exerce ce métier que pour qu’il ait de l’argent afin d’accéder à une bonne situation. Le mari d’Hanae est atteint de tuberculose et elle doit subvenir à ses besoins et à ceux de leur nourrisson. Yorie, qu’on appelle la provinciale, aimerait se marier mais doit pour cela rembourser ses dettes. Quant à la jeune Mickey, elle fuit un passé familial visiblement houleux et une liaison considérée comme scandaleuse avec un soldat américain. Toutes différentes, elles sont néanmoins unies et solidaires, n’hésitant pas malgré leurs chamailleries à s’entraider en cas de coup du sort, ce qui ne manque pas d’arriver.

Car des péripéties, il y en a quelques unes dans La rue de la honte. Un père oublié refait surface, demandant à sa fille de stopper tout « commerce » pour préserver l’honneur familial, avant que celle-ci ne s’offusque de cette demande, qui vient d’un homme ayant délaissé son épouse toute sa vie. Un fils rejette sa mère, qui pourtant s’est dévouée toute son existence pour son bonheur, et qui va par désespoir sombrer dans la folie. Un mari tente de se suicider, croulant sous la culpabilité de ne pas pouvoir être le soutien de famille que la société impose aux hommes d’incarner. Une jeune épouse se rend compte que son quotidien n’est fait que de corvées, et que son rêve de midinette ne sera jamais exaucé. Et n’oublions pas ce client, qui violente brutalement la courtisane qu’il croyait sincère quand elle lui promettait monts et merveilles. Tout ceci resserré dans une narration fluide et compacte, et dans quasiment un seul lieu, ce lupanar surnommé « Le rêve » et qui porte mal son nom.

Et Kenji Mizoguchi de ne jamais porter de jugement dans La rue de la honte. Lui qui a longtemps fréquenté les prostituées adopter un traitement quasi naturaliste, avec une pincée de dramatisation comme il sait bien en user. S’il se montre moraliste, c’est plutôt envers les patrons de l’établissement, dont les propos paternalistes sont semble-t-il à prendre au second degré, et avec des pincettes. On sent beaucoup d’empathie de la part du réalisateur, qui du reste à la fin de sa carrière n’a pas besoin de faire ses preuves en la matière de féminisme. Il a mis en scène de nombreuses héroïnes dans ses longs-métrages, et les a présentées sous diverses facettes, pas forcément sous leurs meilleurs aspects d’ailleurs, mais toujours terriblement humaines, et c’est une fois de plus le cas ici. Il sait s’entourer d’une troupe d’actrices formidables, qui, malgré leurs notoriétés respectives, ne se volent aucunement la vedettes. Le dernier plan du film, magnifique, clôt parfaitement une filmographie plus que respectable.

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