Intérieurs (1978) Woody Allen
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Intérieurs (1978) Woody Allen
La famille prise dans son nœud gordien
Il est intéressant de voir combien Intérieurs a été mal perçu par la plupart des critiques de l’époque et comment ce film est aujourd’hui réhabilité par beaucoup. Un an auparavant Woody Allen avait réalisé avec Annie Hall un doublé, séduisant à la fois la critique, et obtenant quatre statuettes aux Oscars pour le film, la mise en scène, le scénario et l’interprétation de Diane Keaton, et le public. N’ayant réalisé jusque-là que des comédies, et pas des moindres, Woody Allen se lance alors dans ce qu’il pense être l’œuvre de sa carrière, un hommage à son maître incontestable, Ingmar Bergman. Énorme flop pour Intérieurs, et l’ironie du sort est que Woody Allen est aujourd’hui le premier critique du film.
Le début
Eve est une femme triste : elle qui a élevé avec son mari Arthur trois filles voit son mariage partir en fumée et sa vie avec. Maintenant que ses filles sont adultes, deux d’entre elles sont mariées et la troisième vit à l’autre bout du pays, elle se retrouve déprimée et seule dans la grande maison qu’elle avait conçue pour accueillir toute sa famille. Son mari est parti en Grèce pour faire le point, à son retour l’accompagne une autre femme, vivante et loquace, tout le contraire d’Eve. Ce n’est pas le soutien que lui apporte sa fille Joey qui arrive à lui faire remonter la pente. Joey elle-même se sent coupable de ne rien pouvoir faire, elle qui envie tellement sa sœur Renata, le petit génie de la famille à qui tout réussit.
Analyse
La sobriété et l’épure d’Intérieurs sont en tout points remarquables, et répondent au caractère obsessionnel dont est affublé le personnage d’Eve. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le film, on ne peut nier la forte influence qu’a pu y exercer le cinéma d’Ingmar Bergman. D’abord par les thèmes évoqués : la famille, oppressante et paralysante, l’absence de communication, voire de sentiments, tout du moins en façade, ou même la quasi-omniprésence de la mort. Ensuite par les personnages : cinq femmes fortes, trois hommes effacés. Et puis évidemment cette mise en scène, avec l’accumulation de plans fixes, de gros plans sur des visages, incluant cette magnifique scène finale où les trois sœurs se retrouvent face à une vitre, ou les décors épurés.
Évidemment on peut comprendre le trouble provoqué par Intérieurs quand on ne voit que la partie immergée de l’iceberg que représente l’œuvre de Woody Allen, dont les cinq premiers films étaient des comédies burlesques qui n’avaient d’autres but que de faire rire. La mécanique craque dans Intérieurs : le personnage principal est en profonde dépression, tente même de se suicider, la haine est omniprésente, y compris dans ce pourtant sacro-saint cocon que demeure la famille. Les personnages sont fragiles, à la limite de la rupture, sans aucune confiance en eux ou si peu. La rédemption n’arrive que tardivement, et à quel prix, d’ailleurs on peut à peine parler de rédemption, tout du moins d’apaisement.
La petite famille de Woody Allen commence sérieusement à se former à partir d’Intérieurs, où l’on retrouve déjà plusieurs de ses fidèles lieutenants. Parmi eux l’excellente Diane Keaton bien sûr, avec qui la collaboration dure malgré leur rupture, mais aussi les délicieux Sam Waterston et Maureen Stapleton pour les acteurs. D’autres fidèles collaborateurs sont aussi là, à commencer par le chef opérateur Gordon Willis, qui compte huit films au compteur avec le réalisateur, la fameuse directrice de casting Juliet Taylor ou les producteurs Charles H. Joffe et Jack Rollins. Tout cela nous donne une œuvre très intéressante, souvent mésestimée mais qui gagne à être connue, et devrait figurer parmi les meilleurs films du réalisateur.