Le dernier des hommes (1924) Friedrich-Wilhelm Murnau
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Le dernier des hommes (1924) Friedrich-Wilhelm Murnau
L’honneur perdue des sans grade
Dans la filmographie de Friedrich-Wilhelm Murnau, Le dernier des hommes se situe entre Nosferatu et Faust. C’est dire l’éclectisme du réalisateur, capable de passer d’un sujet à l’autre en un tournemain. Ici c’est aussi pour lui l’occasion de quitter en douceur l’univers expressionniste pour aborder un tout autre domaine qu’on appellera cinéma réaliste. Un genre qui sera très en vogue en Allemagne, que l’on peut mettre en parallèle au cinéma soviétique de l’époque (cf. Sergueï Eisenstein) et qui accorde une importance toute particulière aux couches les plus défavorisées de la population.
Ici en l’occurrence un vieux portier qui rentre tous les soirs chez lui, la démarche altière grâce à son bel uniforme. Seulement un jour, surpris en plein délit d’essoufflement en portant une lourde malle, c’est le drame. Il se fait, par une lettre toute pleine d’euphémismes révélant une hypocrisie savoureuse, reléguer purement et simplement au sous-sol de l’hôtel où il officiera désormais à l’humble mais humiliante tâche de Monsieur Pipi. Inutile de dire le sentiment qui est le sien à l’annonce de cette nouvelle, qu’il redoute férocement d’annoncer à ses proches et à ses voisins.
Une des particularités premières du Dernier des hommes réside dans son absence totale d’intertitres. Pourtant muet, le film ne comporte que quelques rares incursions de texte, à chaque fois intégrées dans la narration. Et pourtant pas une fois le film ne se révèle difficile à comprendre ou à interpréter. C’est dire tout le poids que portent sur leurs épaules les acteurs, qui doivent à leur expression scénique refléter une multitude de situations et d’émotions. Saluons ici le talent d’Emil Jannings qui fut décidément une figure marquante du cinéma allemand des années 1920. Son regard triste en dit plus sur la chute social de l’homme qu’il incarne que n’importe quel discours ne pourrait vraisemblablement le faire.
La cruauté et en même temps la stricte description d’une triste réalité ne s’arrête pas là : non seulement le portier va devoir subir sa propre humiliation mais aussi et surtout le changement de regard d’autrui, ici ses voisins et même sa propre famille qui ne voit plus en lui qu’un paria dès lors qu’il ne revêt plus sa belle livrée, un des éléments prépondérants du statut social à l’époque, particulièrement en Allemagne. D’aucuns auront d’ailleurs vu en ce Dernier des hommes une image de l’Allemagne d’après-guerre qui se remet difficilement de sa défaite. Le fait est que Murnau fait quasiment œuvre de sociologue dans sa description en profondeur de la déchéance d’un homme.
Les qualités techniques sont bien entendu légion dans Le dernier des hommes, notons au passage les originalités prises au niveau des prises de vue, avec une utilisation de plus en plus mobile d’une caméra faisant quasiment partie de l’action. Encore une réussite formelle de Friedrich-Wilhelm Murnau, qui s’autorise une petite malice au scénario quand, avant de nous montrer l’épilogue imposé par la UFA (épilogue qui s’avère d’ailleurs passablement inutile), il nous fait clairement comprendre que « le film aurait très bien pu s’arrêter là »… comprenne qui voudra.