La forêt de mon père (2020) Vero Cratzborn
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La forêt de mon père (2020) Vero Cratzborn
Mon père, cet anti-héros
La trame de La forêt de mon père s’est construite à l’Atelier Scénario de la Fémis. Sa réalisatrice, Vero Cratzborn, est née dans les années 1970 au sein d’une cité de la province de Liège. Elle arrive à Paris une vingtaine d'années plus tard afin de suivre un cursus dans la prestigieuse école de cinéma. Elle fait ses premières armes avec le producteur Bruno Pesery, mari d’Isabelle Carré, qui a notamment travaillé avec Théo Angelopoulos, Alain Resnais, Claire Denis ou bien les frères Larrieu. En l’espace de quinze ans, elle réalise cinq court-métrages de fiction, qui circulent dans de nombreux festivals et sont diffusés à la télévision, ainsi que deux courts-métrages documentaires. Elle se forge depuis longtemps la volonté de parler d’un sujet aussi sensible que l’univers psychiatrique, puisqu’elle a grandit avec un père qui y a été interné. Durant deux ans, en plus des visites auprès de son père, elle va passer du temps auprès des personnels soignants et des pensionnaires de plusieurs de ces institutions.
Gina fait de l'accrobranche avec son père Jimmy, qui lui apprend le nom scientifique des arbres qui les entourent. Avec le frère et la sœur de l'adolescente, qui jouent par terre, ils se font expulser de la forêt car c'est une propriété privée. Jimmy amène les enfants au lieu de travail de leur mère Carole, qui fait le ménage dans une maison bourgeoise avec piscine. Carole ne s'attendait pas à les voir et demande à son mari de déposer les enfants dans leur appartement, situé dans une cité. Le soir, durant le dîner, l'ancien chef de Jimmy, qui l'a licencié de son emploi d'élagueur, passe à la maison pour l'accuser de l'avoir volé. Jimmy explique alors à ses enfants, qui le questionnent, qu'il a perdu son travail pour avoir sauvé un chat qui était perché sur une branche d'arbre qu'il aurait dû couper. Le lendemain, les enfants partent en vacances avec leur père, qui laisse les deux plus jeunes conduire sur ses genoux. Arrivés sur place, Jimmy s'énerve en trouvant que les plus jeunes font trop de bruit devant un jeu vidéo.
La réalisatrice de La forêt de mon père connaît bien son sujet. Ayant elle-même grandi dans un univers situé selon ses dires aux confins de la folie, elle a souhaité retranscrire fidèlement ce sentiment. Autant dire qu’elle a puisé dans ses souvenirs d’enfance pour dresser le portrait de ce personnage d’adolescente prise entre deux feux. Elle aime tellement son père qu’elle ne parvient pas à se rendre compte de la dangerosité de son comportement, et c’est le parcours intérieure de cette jeune fille que Vero Cratzborn semble vouloir nous présenter. Le regard porté sur cet homme au comportement fantasque au début, et qui devient peu à peu inquiétant, est donc biaisé. Ce parti-pris renforce le sentiment d’aliénation que ressentent de nombreux adolescents, et qui est ici renforcé par le fait que Gina ne comprend pas ce qui se passe. Elle en veut ainsi d’autant plus à sa mère, qui fait le choix de protéger ses enfants avant tout, ce qui a pour conséquence de l’éloigner de ce père dont elle est particulièrement proche.
La relation entre Jimmy et Gina est joliment dépeinte. Dès la première scène de La forêt de mon père, on comprend la complicité qui unit la jeune femme avec cet homme qui se comporte de façon extravagante. Le basculement de la « normalité » à la « folie » est d’ailleurs effectué avec finesse. On peut au début du film considérer que les actes de ce père de famille sont plutôt justifiés et qu’il lutte contre une société formatée et rigide. Puis quelques signes apparaissent, que les protagonistes choisissent, consciemment ou non, de remarquer, jusqu’au moment où l’homme risque de devenir un danger pour lui-même et surtout pour les autres. La mise en scène devient à ce moment là un peu trop démonstrative quand on commence à suivre la fille aînée tenter de sauver son père, pour elle injustement enfermé. Les images au sein de cette enceinte si particulière qu’est l’institution psychiatrique relèvent alors un peu trop du pensum, d’autant qu’elles font écho à de nombreuses références cinématographiques.
Ainsi La forêt de mon père charrie beaucoup d’univers avec lui. On pense en regardant le film à beaucoup de premiers films dont l’idée originale est autobiographique. Le déroulé du scénario n’apporte pas vraiment de surprise et la mise en scène de Vero Cratzborn reste sagement dans les canons traditionnels. On peut cependant remarquer la prestation très juste des interprètes, en particulier celle d’Alban Lenoir. Auparavant on a pu le remarquer dans Kaamelott, puis dans Un Français, qui lui valu une nomination au Césars, ou bien dans Les Crevettes pailletées. Il incarne avec douceur cet homme qui ne parvient pas à se maîtriser, et fait courir malgré lui des dangers à ses propres enfants. Ainsi, si on comprend bien l’intention de la réalisatrice, de nous dépeindre avec rigueur un univers où les passages à l’acte psychotiques ne sont pas forcément facilement identifiables, on a un peu de mal à se laisser embarquer dans une histoire un peu trop linéaire et balisée.