Violence et passion (1974) Luchino Visconti
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Violence et passion (1974) Luchino Visconti
Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait
On a coutume de dire que Violence et passion est le testament de Luchino Visconti. Car lors du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux, le réalisateur fut victime d’un accident vasculaire cérébral qui le laissa en partie paralysé. Il tournera par la suite deux autres long-métrages mais voyait sa condition physique se dégrader et savait sa fin imminente. Le casting du film s’en ressent, puisqu’il convoque pour les rôles principaux Burt Lancaster, l’inoubliable prince Salina du Guépard, Helmut Berger, son amant et interprète fétiche, mais aussi Silvana Mangano, qui incarnait la mère de Tadzio dans Mort à Venise. Pour enfoncer le clou, notons les présences, non créditées, de Dominique Sanda, dont le rôle dans le crépusculaire Jardin des Finzi-Contini avait à l'époque marqué les esprits, et de Claudia Cardinale, un autre fantôme cinématographique de l'univers de Visconti. Pour la petite histoire, le rôle de la marquise avait été proposé à Audfrey Hepburn, qu’elle déclina car elle trouvait les thématiques du film trop subversives.
Dans son palais romain, un collectionneur et ancien professeur reçoit des émissaires de la galerie parisienne Blanchard, qui souhaitent lui vendre un tableau. Il hésite et refuse finalement, malgré l’insistance de ses interlocuteurs. Assiste à la scène une femme que le professeur ne connaît pas, la marquise Brumonti, qui se montre intéressée par l’appartement du dessus. Il a beau lui dire qu’il n’est pas à louer, elle insiste et finit par le convaincre d’aller le visiter. Sur le palier, sa fille Lietta l’attend, et ils seront rejoint par deux autres jeunes hommes, tandis que bientôt la police embarque la voiture de la marquise. Rentré chez lui, le professeur rappelle le galeriste pour finalement acheter l’œuvre, mais elle a déjà un nouvel acquéreur. Le lendemain, son avocat vient le voir et lui apprend que la marquise l’a contacté, quand Lietta entre dans la pièce avec le tableau qu’il voulait acheter, lui disant que sa mère se l’est procuré pour lui, à un prix inférieur à ce qu’il envisageait de le payer.
On assiste dans Violence et passion à une confrontation entre tradition et modernité. Cela n’est pas une dichotomie nouvelle chez Luchino Visconti, puisque c’était déjà la thématique centrale du Guépard. Le thème est ici actualisé, et le réalisateur fait appel à des couturiers contemporains comme Yves Saint-Laurent et Fendi, avec qui Karl Lagerfeld s’est associé depuis dix ans. Pour les décors, il travaille avec son fidèle collaborateur Mario Garbuglia, qui sera pour l’occasion récompensé, et qui créé deux espaces se répondant, l’un où le poids des années se fait sentir pesamment, l’autre où le design des années 1970 se révèle éclatant. Il confie la direction de la photographie au grand chef opérateur Pasqualino De Santis, qui lui aussi amplifie les contrastes entre ces deux univers antinomiques et pourtant s’attirant. Cette dualité n’est cependant jamais assénée, Visconti s’efforçant habilement de faire dialoguer ces deux mondes plutôt que de les confronter.
Le scénario de Violence et passion est à ce titre remarquablement construit, faisant monter la tension crescendo. Le début du film oppose des personnages bien campés dans leurs stéréotypes. Le professeur l’admet rapidement, il est un solitaire névrosé qui vit dans le passé, tandis que la marquise et son entourage se nourrissent de passions et vivent dans une vulgarité à peine cachée. Progressivement les interactions se dessinent, et le trouble advient. Des relations ambiguës se tissent, et une tension sexuelle se distille tandis que les esprits s’échauffent. Le beau Helmut Berger devient l’objet de toutes les concupiscences, qu’elles soient féminines ou masculines, la thématique de l’inceste étant à peine voilée. C’est là où l’attachement qui se créé entre le jeune homme et le professeur se révèle finement construit : entre attirance et filiation, ces deux êtres que tout oppose vont nouer un lien solide, indéfectible.
On ne peut s’empêcher de voir ici un clin d’œil de Luchino Visconti à la liaison qu’il avait alors récemment entretenu avec Helmut Berger. Il s’est d’ailleurs à peine caché du caractère autobiographique du personnage incarné par Burt Lancaster, auquel il prête également certains des traits de caractère des écrivains et collectionneurs Mario Praz et Roberto Bazlen. Mais Violence et passion ne s’arrête pas là, puisque l’on peut y voir une critique sans fard de la jet-set italienne, faisant écho, une dizaine d’années plus tard, à la Dolce vita de Federico Fellini. Qui plus est, le film se veut aussi politique, et une de ses scènes clés développe la pensée de Visconti, lui qui ne cachait pas ses affinités communistes. La société de consommation et le capitalisme galopant des Trente Glorieuses sont clairement dénoncés, et les références aux Brigades rouges et au fascisme font alors écho aux antagonismes politiques dont se nourrissait Rocco et ses frères. La boucle est bouclé, et de belle manière.