Sœurs (2021) Yamina Benguigui
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Sœurs (2021) Yamina Benguigui
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué
La carrière de Yamina Benguigui a débuté à la télévision au début des années 1990. Elle y produisit alors plusieurs émissions, en présenta et en réalisa quelques-unes. Sa fibre documentaire se développe, et elle en réalise plusieurs, qui ont majoritairement pour sujet l’Algérie de ses origines. Puis elle écrit et réalise Inch'Allah dimanche, qui prend pour personnage principal une femme algérienne qui arrive dans les années 1970 en Picardie. Après un passage par la case politique, elle réalise son deuxième long-métrage avec Sœurs, qui met en scène plusieurs générations de femmes françaises d’origine algérienne. C’est la mort de son père qui a initié le projet, tout en remuant les souvenirs d’une femme partagée entre deux cultures. Comme le personnage de son film, il a combattu pour l’indépendance de l’Algérie, et si le film de Yamina Benguigui n’est pas complètement autobiographique, elle a puisé dans plusieurs de ses souvenirs d’enfance pour construire son scénario.
Norah sort péniblement ses affaires du taxi qui l’amène dans la maison familiale où l’accueillent avec plus ou moins de bienveillance ses deux sœurs, Zorah et Djamila, ainsi que leur mère Leila, qui s’inquiète de savoir combien de temps elle va devoir cohabiter avec sa fille. Par esprit de contradiction, Norah lui répond que si elle n’avait pas divorcé, les choses seraient toutes autres. Elle lui répond que c’est pour qu’elles soient libres, et ses sœurs lui demandent pourquoi elle remue le passé, engendrant une dispute familiale. Depuis quasiment trente ans leur père a enlevé le fils unique de cette mère, qui reproche à son aînée de ne pas l’avoir ramené. Or, quelques jours auparavant, Leila a entendu à la télévision qu’ils ont retrouvé, après de nombreuses années, un homme ayant été enlevé par son propre père. De son côté, Zorah, metteure en scène de théâtre, débute les répétitions de la pièce qu’elle a écrite, et qui a de nombreux fondements autobiographiques.
Sur le papier, l’histoire que nous raconte Sœurs est intéressante. Yasmina Benguigui pose son regard de femme réalisatrice sur un pays où l’Histoire a été écrite par des hommes. Pour cela, elle fait interagir devant sa caméra trois actrices, qui interprètent des figures oubliées par les manuels officiels. On le comprend assez rapidement, le parti-pris du female gaze sera le moteur de la narration, et, au travers de ce prisme, plus de soixante ans vont être déployés. La note d’intention, cohérente avec le parcours de la réalisatrice depuis ses débuts, ne souffre aucune objection : faire parler ces mères et ses filles que l’on a réduites au silence semble nécessaire. Le sujet des enlèvements d’enfants, orchestrés de façon légale et autorisés de manière tacite des deux côtés de la Méditerranée porte en lui des potentialités narratives non négligeables. Et le fait de mettre en avant les manifestations algériennes qui secouent le pays depuis quelques années semble complètement louable.
Le problème de Sœurs ne réside pas là, mais plutôt dans le traitement de son, voire de ses différents sujets. Le film est porté par plusieurs fils narratifs, et sa construction repose sur un principe de mise en abyme permanent. Ainsi, nous suivons Zorah, une metteuse en scène qui a écrit une pièce basée sur sa jeunesse. Des flash-backs illustrent les événements qui sont répétés sur scène par des comédiens, dont la fille de Zorah, Farah, qui interprète sur scène comme dans les retours fictionnels qui nous sont proposés à l’écran, le rôle de sa grand-mère Leila, soit la mère de Zorah. Si ce n’est pas un dispositif très novateur, le résultat n’est pas vraiment convaincant. La confusion règne tout du long, et l’on finit par se lasser de ces allers et retours qui ne font que brouiller un propos pourtant pas très compliqué. Si on ajoute à ça la figure de Yamina Benguigui, qui a puisé dans ses souvenirs pour écrire cette histoire, dont on imagine aisément qu’elle se projette dans le personnage principal, on a fait le tour.
Au-delà de ce scénario bancal, la direction d’actrices de Sœurs ne manque pas de défauts. Le principe est, encore une fois, plein de bonne volonté : choisir trois, voire quatre générations d’interprètes algériennes ou issues de cette immigration. D’abord il y a l’aînée, à savoir Fettouma Bouamari, comédienne iconique, dont le regard et la prestance en imposent immédiatement devant la caméra. Puis bien sûr Isabelle Adjani, de plus en plus rare, compose encore une fois un personnage où l’on ne peut que projeter son parcours de vie et d’actrice. L’excellente Rachida Brakni interprète quant à elle très justement le rôle de cette « sœur du milieu » tandis que la plus jeune est incarnée par Maïwenn, dont le jeu, encore et toujours sur la brèche, est fatigant , et que Hafsia Herzi complète ce casting cousu main. Le problème c’est qu’elles ne sont pas dirigées, et que les nombreuses séances d’improvisations finissent pas lasser. Si sur le papier on aimerait aimer ce projet, le résultat souffre de trop d’imperfections pour susciter l’adhésion.