Seules les bêtes (2019) Dominik Moll
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Seules les bêtes (2019) Dominik Moll
Le bonheur n'est pas dans le pré
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Dominik Moll prend son temps. Il a commencé sa carrière de réalisateur au début des années 1990, avec un premier film passé inaperçu. Il frappe ensuite un grnd coup avec Harry, un ami qui vous veut du bien, sélectionné en 2000 en compétition officielle au Festival de Cannes et détenteur de quatre Césars. Cinq ans pus tard il sort Lemming, qui déçoit la critique malgré ses qualités, puis réalise en 2010 l'improbable Moine. Toujours après cinq ans, sa comédie Des nouvelles de la planète Mars ne fera pas grand bruit, et en 2019 il signe l'adaptation d'un roman de Colin Niel. Seules les bêtes dénote dans l'oeuvre de cet écrivain qui a longtemps vécu en Guyane et y a situé quatre de ses romans. Ici il campe ses personnages dans le causse Méjean, et récolte plusieurs prix littéraire pour ce polar construit en cinq chapitre, chacun portant le nom de l'une ou l'un des protagonistes de l'enquête.
Dans un village de montagne, au cœur du causse Méjean, Alice, assistante sociale, s'entiche de Joseph, un éleveur psychiquement instable qui a récemment perdu sa mère. Elle découvre au journal télévisé qu' Évelyne Ducat, une habitante de la région, a disparu lors de la dernière tempête : sa voiture été retrouvée sur le bord de la route. Son mari Michel tient une exploitation et leur relation bat de l'aile ; elle s'occupe aussi de son père, qui habite seul dans une maison proche et n'apprécie pas beaucoup Michel. Une vieille femmes dont elle s'occupe lui confie qu' Évelyne n'aimait pas son mari, et c'était réciproque. C'était une parisienne qui avait sa résidence secondaire dans le coin et dont l'époux était en voyage d'affaires. Cédric, un ami d'Alice, gendarme, lui confie que l'enquête piétine, lui demande si elle a entendu des choses sur l'affaire, et lui pose des questions sur Joseph.
La construction de Seules les bêtes n'a rien d'original mais convient parfaitement à son récit. Reprenant la structure du roman qu'il adapte, Dominik Moll intitule chaque partie de son film par le nom d'un de ses personnages. Le spectateur reconstitue alors le drame qui s'est déroulé du point de vue de chaque participant. Ces flash-back décalés sont rigoureusement bien amenés et apportent tous une pierre à l'édifice du polar qui est à la fois en train de se construire et déjà passé. La mécanique implacable se dévoile de façon progressive, ne laissant peu à peu plus aucune place au doute. Non pas que le suspens soit intense : l'important n'est pas tant l'identité de la personne qui a commis le meurtre mais plutôt les fatales coïncidences qui ont amené ce petit village de montagne à vivre de tels événements. Si les ficelles sont parfois très grosses, et la fin n’arrangeant pas cet aspect, la majeure partie du scénario est habilement écrite.
Au-delà du thriller en tant que tel, ce qui est tout aussi intéressant dans Seules les bêtes demeure dans le fait que chacune des histoire qui nous est racontée a sa force. Tous les personnages ont une épaisseur, et Dominik Moll parvient en quelques scènes à dresser leur portrait, les faisant au final exister. Ainsi chaque segment de son film pourrait très bien faire l'objet d'un traitement au long cours. Que l'on prenne l'histoire de cet éleveur solitaire, certes caricatural mais qui parvient à nous émouvoir, ce jeune africain attiré par l'argent facile, ou cette bourgeoise homosexuelle qui refuse toute forme d'attachement, tous nous apparaissent crédibles. D'ailleurs une certaine forme de tendresse transparaît, et personne n'est ni pitoyable ni odieux : « tout le monde a ses raisons », pour paraphraser Jean Renoir. Et ce kaléidoscope de vies plus ou moins ratées forme un ensemble tout à fait convaincant.
La faiblesse de Seules les bêtes réside peut-être dans sa dimension politique. Dominik Moll semble avoir beaucoup de choses à dire sur le monde contemporain, entre les déserts ruraux et la mondialisation capitaliste, entre les dangers des réseaux sociaux et les difficultés des éleveurs. Tout ceci est au final un petit peu lourd et les hasards qui font interagir les personnages utilisent parfois des ficelles narratives trop grosses. Heureusement les acteurs, et surtout les actrices, parviennent à nous faire entrer dans cet univers. De Laure Calamy, qui trouve enfin un rôle à sa mesure, à une Valeria Bruni Tedeschi libérée de ses artifices, en passant par le toujours aussi bourru Denis Ménochet et l'inquiétant Damien Bonnard, à dix lieues de son rôle dans Les misérables, le casting tient très bien le coup. On est content de revoir le réalisateur d'Harry, un ami qui vous veut du bien, revenir à un genre qui lui réussit assez bien.