L'année dernière à Marienbad (1961) Alain Resnais
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L'année dernière à Marienbad (1961) Alain Resnais
Les circonvolutions aléatoires et signifiantes de la mémoire
Si Alain Resnais est souvent taxé de réalisateur cérébral, c’est en grande partie dû à ses premiers films, Hiroshima mon amour et surtout L’année dernière à Marienbad. Des longs-métrages qui laissent une large part à l’écriture, et pour cause : l’un fut scénarisé par Marguerite Duras et l’autre en partie par Alain Robbe-Grillet. Au fil du temps, le cinéaste a opté pour des formes narratives plus classiques tout en gardant une large part à l’innovation stylistique, comme en témoignent Smoking / No smoking ou On connaît la chanson, et en privilégiant des scenarii très élaborés, avec la complicité d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri. Plusieurs spectateurs ont attribué à L’année dernière à Marienbad l’influence du roman L'invention de Morel, écrit par Adolfo Bioy Casares en 1940, ce qu’Alain Robbe-Grillet démentit dans Les cahiers du cinéma. Le film reçu le Lion d'or de la Mostra de Venise, dans une compétition où étaient également récompensés Toshirô Mifune et Suzanne Flon : c’est chic.
Le début
Dans un hôtel immense et de grand luxe, et si d’aventure l’on ne l’avait pas remarqué, la voix-off du début nous le ferait comprendre par une longue et redondante introduction, se tient un homme. À une femme qu’il aborde lors d’une soirée mondaine, il rappelle un rendez-vous passé il y a un an, au même endroit. Il lui dit qu’ils ont été amants, et qu’il lui a donné une année pour se décider si elle souhaite poursuivre leur relation et partir avec lui. Mariée, ou en tout cas en couple, ou pas, ou peut-être, elle s’obstine à nier la prétendue rencontre de l’an dernier avec cet inconnu qui la fascine et qui l’effraie. Elle lui répête qu’elle n’est jamais allée à Frederiksbad, à Karlstadt, à Marienbad ou à Baden-Salsa. L’homme n’aura de cesse de la forcer à ce rappeler son engagement, l’exhortant à fuir avec lui, tandis qu’il se mesure à un autre personnage, qui peut-être l’époux de son interlocutrice, en jouant une partie d'allumettes, qu’il perd. Où souhaitent-ils partir, on ne le sait pas, mais cela n’a pas d’importance.
Analyse
Et d’ailleurs rien n’a d’importance pour le personnage principal du film. Son nom, il refuse de le donner à son interlocutrice, il est un homme, elle est une femme, ils se sont croisés, peut-être aimé, qui sait. Il y a de quoi se perdre, et c’est sans doute le but du réalisateur. Le second film d’Alain Resnais est un dédale où le spectateur se perd pour mieux se retrouver, cherchant son reflet dans les miroirs de ce palace aux dorures fastueuses. L’année dernière à Marienbad n’a pas pour vertu première d’être facile à expliquer, à décortiquer, ni même à analyser. Comme l’écrivait un journaliste de l’époque, Marcel Martin, pour ne pas le nommer, « […] Marienbad est […] le premier film qui ridiculise et décourage toute critique ». La formule est piquante, et sans doute exagérée, mais elle mérite qu’on la retienne, et résume assez bien l’effet que l’on peut ressentir devant le long-métrage. Mais est-ce bien là le plus important, on est en droit de se le demander.
Car L'année dernière à Marienbad est avant tout pur ressenti. Derrière un propos austère et cérébral se cache une œuvre purement esthétique, presque sensuelle. Non pas sensuelle au sens charnel du terme, mais en ce qu’elle fait appel aux sens. La vue tout d’abord, avec ce noir et blanc impeccable servi par un chef opérateur talentueux, Sacha Vierny, un fidèle d’Alain Resnais puis de Peter Greenaway. À cette image léchée s’ajoutent des innovations dans la mise en scène, qui ne sont pas sans rappeler la Nouvelle vague, et des décors somptueux. Le film fait appel à la vue, mais aussi à l’ouïe. On est envoûté, ou bien agacé, mais en tout cas pas insensible, par la partition d’orgue qui accompagne sans cesse le film. Et comment ne pas évoquer le timbre de voix si particulier et si charmant de Delphine Seyrig ? L’actrice, qui joue alors un rôle essentiel de sa toute jeune filmographie, marque de sa voix si chaleureuse et de son charme si mystérieux le film et les esprits.
Alors, qu’est-ce qui donne à L’année dernière à Marienbad son goût d’amertume pour le spectateur ? Peut-être le fait qu’on a beau essayer, on n’arrive pas à avoir de prise sur cet objet filmique non identifié. Certes, Alain Resnais objecte qu’il y a autant de Marienbad que de spectateurs qui le voient. Et cette tentative d’exploser les schémas narratifs et formels est hautement louable, et sert admirablement le propos onirique du film. Mais il devient par là même trop intellectualisé si on tente de l’appréhender. Sans doute ne doit-on que le ressentir, l’écouter, le regarder, sans vouloir chercher plus loin. Mais alors on se bute au caractère éminemment littéraire de l’œuvre. Ou plutôt à la contradiction même de sa construction : à la fois objet cinématographique visuellement étonnant, le film se heurte à un langage littéraire qui nous empêche d’entrer pleinement dedans, qui nous force à rester à l’écart, spectateur intrigué, parfois subjugué, mais pas forcément convaincu, en tout cas dès le premier visionnage.