Peter von Kant (2022) François Ozon
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Peter von Kant (2022) François Ozon
Gouttes d’eau sur pierres incandescentes
L’art de l’adaptation se matérialise une fois de plus chez François Ozon avec Peter von Kant. Le réalisateur s’inspire souvent de romans, comme dans Angel ou dans Une nouvelle amie, mais aussi, et beaucoup, de pièces de théâtre, comme avec Huit Femmes, Dans la maison ou Frantz, pour ne citer qu’eux. Mais une des figures tutélaires du cinéastes, à laquelle il se réfère régulièrement, est bien entendu Rainer Werner Fassbinder. C’est ici la deuxième fois qu’il adapte une pièce de l’artiste allemand, après Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Au passage, le réalisateur avait lui-même créé pour le cinéma sa version de ces deux pièces. Ici, Ozon choisit de bousculer le point de vue, puisque le personnage principal est un homme, réalisateur, homosexuel, dans l’Allemagne des années 1970. L’hommage est clair, d’autant plus qu’une photographie de Fassbinder est affichée dès le générique du film. Pour couronner le tout, Hanna Schygulla interprète un rôle dans chacune des deux adaptations de la pièce.
Le début
Karl, l’homme à tout faire du réalisateur Peter von Kant, le réveille et lui passe le téléphone. Il appelle sa mère, qui lui apprend qu’elle part six mois à Miami, et lui demande de lui donner de l’argent. Peter ordonne à Karl de continuer à écrire pour lui un scénario, puis lui dicte une lettre qu’il adresse à Romy Schneider, à qui il promet d’envoyer un scénario. Il s’accorde une courte danse avec Karl, avant d’ouvrir son courrier. Il y trouve une missive de la Bavaria, qui propose de le produire. Quand il leur téléphone, il leur fait croire qu’il a plein de projets, et accepte de les rencontrer le vendredi après-midi. Arrive alors Sidonie, la meilleure amie de Peter, une actrice célèbre qu’il n’a pas vue depuis trois ans. Elle lui demande des nouvelles de Frantz, son ancien amant, avec qui ils ont rompu, et lui dit qu’elle s’est beaucoup inquiété pour lui. Ils évoquent leur différente conception des relations amoureuses, et de la façon de vivre en couple.
Analyse
Huis-clos aux personnages peu nombreux, Peter von Kant revendique ses origines théâtrales. Et une fois de plus, François Ozon parvient à faire de ce matériau de base une magistrale œuvre de cinéma. Rien dans sa mis en scène ne renvoie au « théâtre filmé », rien n’est vieillot, tout est dynamique. Tout au plus pourrait-on arguer que la diction de Denis Ménochet ou d’Isabelle Adjani est-elle parfois un peu trop scandée, mais ça fait partie des usages et des règles d’un jeu que l’on accepte bien volontiers. De même, le dynamisme de la réalisation nous entraîne durant ces quatre-vingt dix minutes, soit une durée relativement courte pour un long-métrage actuel, et l’on se prend au jeu de ces tumultes de sentiments où, on peut en convenir, les rebondissements ne sont pas légion. Mais ce n’est pas me but d’un tel film, et, si l’on connaît la chanson dès le début, même en étant familier de l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder, on ne s’ennuie pas en visionnant le film.
On peut d’ailleurs qualifier de fidèle Peter von Kant à l’œuvre originale, même si le film de François Ozon adopte un autre parti-pris. Le thème reste le même, celui de l’amour, ou de la passion amoureuse, et des relations sado-masochistes. Le personnage principal est un exalté, qui s’éprend pour un jeune homme à en perdre la raison, et qui a du mal à garder le sens de la mesure en toutes circonstances. Les rôles s’inversent rapidement, et il va passer de maître à esclave, d’un Pygmalion à une Madame de Tourvel, pour schématiser. À cela s’ajoutent les relations hautement codifiées qu’il entretient avec son assistant, Karl, superbement interprété par Stefan Crepon, aperçu dans Le bureau des légendes. Tout ceci était présent dans Les larmes amères de Petra von Kant, mais d’un point de vue féminin. Aucun homme n’intervenait dans le film de Rainer Werner Fassbinder, et l’on passe d’un couple lesbien à un couple gay. Cela n’affecte en rien l’effet dramatique, ni les ressorts principaux de l’intrigue.
Tout cela pourrait paraître compassé, figé, et l’on peut facilement admettre que Peter von Kant fait plus appel à l’intellect qu’aux sentiments. On ne ressent pas vraiment de compassion pour les personnages qui se débattent devant l’écran, mais ce n’est pas le but recherché. Le long-métrage de François Ozon est un exercice de style, qui s’assume comme tel, et qui est tout à fait réussi. La reconstitution d’une époque est remarquable, l’hommage au créateur originel est présent jusqu’à la démarche et à la physionomie de Denis Ménochet, dont le jeu est d’un grande justesse comme à son habitude. Après Sophie Marceau, Ozon poursuit sa « collection » des plus grandes actrices du cinéma français, et elle se révèle fidèle à elle-même, avec une pincée d’auto-dérision qui fait plaisir à voir. Le réalisateur continue ici de fouiller les thématiques homosexuelles, assumant pleinement son rôle d’étendard sans toutefois en faire trop, mais brossant avec délicatesse un couple d’hommes aux relations complexes.