Girl (2018) Lukas Dhont
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Girl (2018) Lukas Dhont
C’est pas son genre
C’est grâce à la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes que Lucas Dhont a pu développer son projet, qui deviendra Girl, entre 2016 et 2017. Pour son premier film, il s’est inspiré d’un article qu’il a lu dans un journal, qui parlait d’une jeune fille ayant su très tôt que, bien que née garçon, cette assignation de genre ne lui correspondait pas. Une fois le scénario écrit, restait à trouver la personne adéquate pour incarner Lara, puisque c’est le nom du personnage principal. Lukas Dhont entame les auditions, et cherche parmi des centaines de jeunes, cisgenres et transgenres, sans que l’étincelle n’advienne. Il se tourne alors vers des troupes de danse et repère Victor Polster. Âgé alors de 14 ans, il a pris des cours de théâtre mais s’est surtout inscrit très tôt à l’École royale de ballet d’Anvers, car il ambitionne de devenir danseur professionnel. Sélectionné à la section Un certain regard du Festival de Cannes, le film y obtiendra, en outre de la Queer palm, la Caméra d’or, et Polster le Prix d’interprétation.
Réveillée par son petit frère Milo, Lara joue un peu avec lui avant de faire ses étirements, puis son père la surprend alors qu'elle se perce les oreilles pour mettre des boucles. Elle va ensuite à une audition pour être sélectionnée dans une école de ballet. Les directeurs lui disent qu’elle a beaucoup de talent, et qu’ils seraient ravis de la prendre, mais uniquement en période d’essai pour l’instant. Plus tard Lara et son père ont rendez-vous dans un hôpital, où, après lui avoir demandé comment elle se sent, la médecin lui explique que sa transition se déroule d’une façon satisfaisante. Puis Lara s'entretient avec le psychiatre, à qui elle confie son impatience de commencer le traitement hormonal. En arrivant à la maison, elle finalise avec son père leur déménagement dans leur nouvel appartement quand le jeune voisin vient leur donner un coup de main. Le lendemain, Lara intègre enfin son cours de danse, et rencontre les filles avec lesquelles elle va désormais s’entraîner.
Ce qui frappe à première vue dans Girl, c’est la sécheresse de la mise en scène. On suit le parcours de Lara, quasiment toujours présente devant la caméra, épaulée par son père bienveillant. Peu de personnages entrent en scène, et chacune et chacun ne sont là que pour étayer un certain aspect de la vie quotidienne de la jeune adolescente. Le scénario ne souffre d’aucune fioriture, ce qui intéresse Lukas Dhont c’est de suivre Lara durant ces quelques mois pour elle déterminants. Et le réalisateur de ne pas focaliser son attention sur un des aspects du personnage : elle est à la fois une jeune fille en proie à ses émotions et à sa puberté, une danseuse appliquée et sacrément motivée, et aussi elle démarre un parcours de transition. Chacun de ces aspects est aussi important pour l’histoire qui nous est racontée, et le scénario ménage un équilibre savamment dosé entre ces différents éléments, qui forment un ensemble, homogène et fluide.
Et Lukas Dhont de traiter tous ces aspects qui constituent Girl quasiment à la manière d’un thriller. La tension est palpable dans presque chacune des scènes, des troubles de l’adolescence qui perturbent la jeune fille aux entraînements de danse très intenses et particulièrement éprouvants, en passant par les rendez-vous médicaux, passage douloureux mais obligatoire. Le film alterne des scènes d’une douceur manifeste, où la lumière est éclatante et les rapports entre les personnages sont étonnamment simples, avec des moments chargés de violence, où Lara se montre dure envers elle-même et où son entourage s’avère plus transphobe qu’il n’en a l’air. C’est un reproche que l’on peut faire au film, quand le voyeurisme affleure lors de rares plans qui nous montre une nudité frontale inutile. S’il se montre pudique la plupart du temps, on peut parfois se demander quelle est la place du réalisateur, mais aussi du spectateur, entre bienveillance et curiosité malsaine.
Reste que Girl est un film qui marque un jalon, à la fois dans ce qu’il raconte et dans la façon qu’il a de maîtriser son sujet. Les acteurs sont tout autant dans la maîtrise, en particulier Victor Polster, qui se montre tout à fait impressionnant. Pour son premier rôle, il incarne avec un naturel confondant cette jeune fille déterminée et courageuse. Le jeune danseur pourrait d'ailleurs également être promis à une belle trajectoire s’il avait envie de poursuivre une carrière dans le cinéma. Quant au film, il a justement suivi un joli parcours, de ses prix cannois à un succès public assez relatif mais avec un écho international non négligeable. Espérons que malgré ses quelques maladresses, Girl participe à faire évoluer les mentalités sur un sujet qui, dans les pays du Nord de l’Europe, bénéficie d’un traitement autrement plus favorable.