Vénus noire (2010) Abdellatif Kechiche
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Vénus noire (2010) Abdellatif Kechiche
Le lent travail d’avilissement d'une femme au destin tragique
On ne sort pas indemne d‘un film comme Vénus noire : la force du sujet nous prend aux tripes et fait réfléchir longtemps. le spectateur. Le pire est de se rendre compte que la réalité fut sans aucun doute à l’image de ce qui nous a été présenté durant plus de deux heures. Oui, on a exhibé comme une bête curieuse un être humain, une femme, dont l’unique excentricité était son physique. Oui, son corps a été dépecé après sa mort par des scientifiques. Et oui, il a fallu plus de 150 ans pour que sa dépouille repose enfin en paix chez elle, dans son pays natal. Déjà, rien que pour ce témoignage de l’inhumanité ordinaire, le film d’Abdellatif Kechiche mérite d’être regardé.
Le début
C‘est un jour spécial à l‘Académie de médecine de Paris : en cette année de 1817, l'anatomiste Georges Cuvier va dévoiler le moulage et les parties intimes d‘une femme, surnommée la Vénus Hottentote. Il va s’évertuer à démontrer que ce « spécimen » est le chaînon manquant entre le singe et l’homme. Sept ans plus tôt on retrouve à Londres un spectacle présenté par Hendricks Caezar. Il a découvert quelques années plus tôt en Afrique du Sud une femme aux formes protubérantes qu’il exhibe fièrement devant un parterre médusé. Enfermée dans une cage, puis enchaînée, elle simule des cris et des comportements primaires pour exciter les foules et divertir les curieux.
Analyse
C‘est une face obscure de l‘Humanité que nous montre Abdellatif Kechiche dans Vénus noire. On avait déjà pu constater avec La graine et le mulet combien le réalisateur pouvait nous dépeindre habilement des travers masculins bien peu reluisants, et c'est un euphémisme. Ici, on peut considérer qu'il franchit un pas supplémentaire, puisqu'aucun des personnages masculin du film ne rattrape l’autre, et certaines femmes ne bénéficient pas d’un traitement plus enviable. La cruauté du genre humain est présentée dans son degré le plus primaire et ses pulsions les plus basses, que le spectateur, voyeur plus ou moins consentant, doit digérer, puis analyser.
Au centre de Vénus noire, une femme, en l'occurrence Saartjie Baartman, essaye de rester digne malgré tous les horribles traitements qu’on lui inflige. C'est une belle âme que le réalisateur ne filme que très peu, mais dans ces rares moments on peut ressentir la souffrance qui l’étreint. C’est l’histoire d’un rêve déçu de liberté, d’un être naïf à qui personne n’a donné la main, ni la voix. Pour appuyer son propos, Abdellatif Kechiche installe une mise en scène très étudiée et qui nous entraîne sans temps mort durant ce long calvaire. En un plan séquence, le réalisateur nous présente la scène londonienne du début du XVIIIe siècle, ses forains et ses marchands d’illusions.
La caméra aérienne d'Abdellatif Kechiche virevolte quand il s’agit de nous montrer Saartjie dansant devant un public médusé, enfin réduit au silence devant son talent artistique. Car Saartjie est avant tout une artiste, musicienne et danseuse, et c’est la seule chose qui la fait tenir en vie. Yahima Torres est remarquable dans ce rôle éprouvant tandis qu’Olivier Gourmet nous montre une fois encore l’étendue de son talent. À l’instar de Freaks, Vénus noire est un choc à la fois esthétique et psychologique, où le spectateur est pris à parti car jamais le réalisateur ne nous donne une clé de lecture : à nous de faire la part des choses. C'est perturbant, c'est parfois agaçant, mais c'est aussi stimulant.