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Petite fille (2020) Sébastien Lifshitz

Petite fille (2020) Sébastien Lifshitz

Publié le 29 nov. 2020 Mis à jour le 29 nov. 2020 Culture
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Petite fille (2020) Sébastien Lifshitz

Dis, Maman, pourquoi je suis né en garçon ? 

Le parcours artistique qui a conduit Sébastien Lifshitz à réaliser Petite fille est tout à fait passionnant. Depuis plusieurs années, l’ancien élève de l’École du Louvre attache une importance toute particulière à la personne humaine. C’est ce qui l’a amené à collectionner de nombreuses photographies vernaculaires, qu’il a présentées dans  une exposition au Centre Pompidou fin 2019. C’est aussi ce qui le mut lorsqu’il réalisa des documentaires centrés sur une ou deux personnalités, dont Bambi, dont le personnage principal est Marie-Pierre Pruvot, et qui reçu notamment un Teddy award au Festival de Berlin. À la fin du tournage de son récent et remarquable Adolescentes, Lifshitz s’est souvenu d’une phrase de Bambi, qui lui disait que le sentiment d’être femme lui est apparu très jeune, dès l’âge de trois ou quatre ans. Il s’est alors approché de parents confrontés à la transidentité de leurs enfants et a rencontré la mère de Sasha sur un forum consacré à la dysphorie de genre.

Dans sa chambre décorée avec des papillons et des arcs-en ciel, Sasha se déguise en princesse, et dans le jardin, elle joue avec sa famille à la bataille de boules de neige. Sa mère Karine explique au médecin de famille de leur village que né de sexe masculin, l’enfant a exprimé dès l’âge de deux ou trois ans le fait que, quand il sera grand il sera une fille. Karine a vite compris que c’était un élément constitutif, et que Sasha est une fille. Le médecin lui pose alors des questions sur sa grossesse, et Karine lui dit qu’alors elle voulait avoir une fille, et qu’elle a été déçue en apprenant qu’elle attendait un garçon. Elle exprime alors le sentiment de culpabilité qu’elle ressent et les craintes qu’elle projette sur l’avenir de Sasha. Elle raconte aussi combien ses interlocuteurs, en particulier à l’école, l’ont stigmatisé, sans jamais lui proposer d’aide psychologique. Les difficultés à trouver un pédopsychiatre compétent en la matière dans la région sont des obstacles supplémentaires auxquels est confrontée Karine.

Ce que parvient très bien à réaliser Petite fille, c’est l’incarnation. Le documentaire de Sébastien Lifshitz s’attache à mettre une figure, donner à voir une image concrète de la transidentité. Non pas dans un but de monstration : le film ne stigmatise jamais son sujet, et évite fort heureusement le côté « phénomène de foire » comme ce thème est bien trop souvent présenté. Les objets de Petite fille sont animés, ce sont des humains, que ce soit Sasha ou ses parents, ses frères et sa sœur. Chaque scène décortique, l’une après l’autre, les sentiments qu’éprouvent les protagonistes de ce drame inédit du quotidien. Mais le caractère dramatique ne vient pas directement de la transidentité per se, qui est très bien vécue par les proches de Sasha, mais plutôt des effets collatéraux que cela peut engendrer chez les tiers, en l’occurrence les personnels éducatifs, qu’ils soient à l’école ou au conservatoire. Ceux-ci font d’ailleurs l’objet d’une désincarnation : s’ils sont ceux d’où provient la tension, on ne les voit quasiment jamais.

Ainsi Petite fille suit au plus près ses protagonistes, et le spectateur a l’occasion de vivre durant une courte période de temps, décisive, leur quotidien. Le sujet nous est développé dès la première scène, qui plonge dans l’intimité d’une mère et de sa conversation avec un médecin, lui confiant ses peines et ses douleurs devant les épreuves qu’elle a pu subir dès lors que Sasha lui a confié, dès l’âge de deux ans, sa difficulté à être un garçon. Le film se clôt quelques mois plus tard, après une lutte de tous les jours contre des institutions obtuses. Entre temps, le spectateur a assisté à des visites chez une pédopsychiatre et à des conversations, parfois confidentielles, entre les membres de la famille ou avec Sébastien Lifshitz himself. Car c’est une des caractéristiques du documentaire que d’impliquer la caméra et le filmeur : le père de Sasha tutoie l’objectif, les regards caméra ne sont pas éludés. On sent la subjectivité et l'impliction de l’auteur, qui ressent de l’empathie avers ses sujets.

Ainsi les qualités de Petite fille, sa délicatesse envers son objet d’étude, sa proximité avec les protagonistes, en font parfois des défauts, quand les scènes de pleurs se prolongent et que l’émotion prend le pas sur la narration. Mais Sébastien Lifshitz ne pouvait sans doute pas faire autrement, vu le sujet qu’il porte, et il s’en sort d’ailleurs très bien, faisant preuve par ailleurs d’un didactisme simple et d’une pédagogie accessible. Ainsi le thème de la dysphorie de genre, qui en effraye plus d’un, est amené avec naturel et bienveillance. De même les attaques transphobe dont est victime la principale concernée, sont évoquées de façon pudique, non pas pour nier leur existence, mais tout simplement car Sasha elle-même a du mal à en parler : l’objectif est ici de rendre compte de son vécu, pas d’établir un exposé sur la transphobie. Ses effets pernicieux sur la jeune fille nous sont par contre clairement présentés, tout comme les impacts désastreux que peuvent présenter une simple mention dans un document officiel.

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