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Le corbeau (1943) Henri-Georges Clouzot

Le corbeau (1943) Henri-Georges Clouzot

Publié le 7 juin 2021 Mis à jour le 7 juin 2021 Culture
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Le corbeau (1943) Henri-Georges Clouzot

Ni Bien, ni Mal (bien au contraire)

Le destin du Corbeau de Henri-Georges Clouzot est assez curieux, d'autant plus que le film fut à sa sortie encensé par les critiques, à juste titre, pour ses nombreuses qualités. Seulement voilà, financé sous l'Occupation par la Continental, une société de production avec des fonds allemands, le film sera interdit à la Libération et son auteur sera porté un temps aux gémonies. Ce qui est ironique puisque le film n’a pas plu du tout aux instances du régime de Vichy qui lui reprochaient son manque de patriotisme. L'origine de son scénario vient d'un fait divers survenu à Tulle au début des années 1920. Des lettres anonymes circulent dans la ville, calomniant nombre de ses habitants. Lorsque la coupable est jugée, un journaliste comperera son apparence à celle d'un oiseau, ce qui inspirera Clouzot, et par la suite popularisera le terme pour désigner un délateur.

Les reproches adressés à Henri-Georges Clouzot sont d'autant plus injustes que l'auteur ne fait pas une seule seconde acte de parti-pris dans le scénario du Corbeau, très habilement concocté par Louis Chavance. Pierre Fresnay y incarne Rémi Germain un modeste médecin de campagne qui fait l’objet d’un maître-chanteur. Un de ces principaux thèmes d'accusation porte sur le fait que le docteur aurait recours à des avortements, et qu'il entretiendrait une liaison avec une femme mariée. Celui-ci va inonder la petite ville provinciale de Saint Robin de courriers de plus en plus délateurs, et souvent calomnieux, envers la plupart des notables. Bientôt personne ne sera épargné par celui qui se fait appeler « Le Corbeau » et qui s’acharne à mettre en doute la probité du médecin.

Dans la lignée de L’assassin habite au 21, Henri-Georges Clouzot construit donc un film noir élégant et brillant où bien malin qui trouvera la clé de l’énigme. Mais le réalisateur ne s’arrête pas aux codes du genre : Le corbeau est avant tout l’admirable radiographie d’une petite ville de province où chaque personnage est finement croqué. On a l’honnête victime (Pierre Fresnay impeccable en homme tourmenté qui évolue très doucement au cours de l’intrigue), la femme fatale (Ginette Leclerc que l'on peut trouver un tantinet trop caricaturale), la femme mariée et lasse de l’être, son mari cynique à souhait (Pierre Larquey très drôle et toujours aussi juste), sans oublier le directeur de l'école, incarné par un Noël Roquevert en verve. Tout ce petit monde cohabite dans une saine ambiance jusqu’au jour où les lettres sont envoyées.

À partir de là les langues se délient et l’âme humaine nous est enfin révélée, dans toute sa grandeur ou sa lâcheté, c’est selon. Le contexte de l’époque ne peut évidemment pas être tu alors que nombre de français doivent faire un choix. Et c’est là que Le corbeau déploie sa plus grande habileté : aucun manichéisme n’est de mise dans le film. À l’image de la scène où Germain et Vorzet discutent sous une ampoule qui tangue, les laissant l’un après l’autre dans l’ombre ou la lumière, Henri-Georges Clouzot s’évertue tout au long du film à ne porter aucun jugement hâtif. Maîtrisant très subtilement l’art de la mise en scène pour mieux confondre le spectateur, Le corbeau fait de son auteur l’égal d’un Alfred Hitchcock et est à marquer d’une pierre blanche dans l'histoire du cinéma français.

On peut voir l'importance du Corbeau dans la postérité qu'il a laissé. Déjà à son époque, l'interdiction que subit le film suscite les protestations de nombreux intellectuels, hors du milieu du cinéma tels Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir mais aussi en son sein comme Claude Autant-Lara ou Jacques Becker, pour ne citer qu'eux. Par la suite, le long-métrage d'Henri-Georges Clouzot fera l'objet de nombreux échos. Déjà un remake en a été réalisé par Otto Preminger, au début des années 1950, avec Charles Boyer dans le rôle titre. Et puis François Truffaut a évoqué le contexte dans lequel le film a été villipendé dans une célèbre séquence du Dernier métro. Sans compter le nombre d'œuvres de la culture populaire, ou bien les multiples occurences dans l'actualité où l'on cite Le corbeau comme référence ultime.

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