La première marche (2020) Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray
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La première marche (2020) Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray
Banlieusard-e-s et fier-e-s
Lors d’un événement contre l’homophobie, qui se déroulait à Saint-Denis, les réalisateurs de La première marche rencontrent quatre militants qui leur racontent leur projet. Ils souhaitent organiser une marche des fiertés qui partirait de banlieue, afin de mettre en lumière les doubles stigmatisations que vivent leurs habitant-e-s lesbiennes, gays, bis, trans, queer, intersexes etc. Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray décident alors de les suivre durant les six mois de préparation de cette pride inédite. Pour eux aussi c’est une première, ils n’ont alors réalisé aucun documentaire et n’ont pas beaucoup de moyens. Ils se munissent d’une caméra et partent dans cette aventure avec l’idée principale de se concentrer sur ce petit groupe de jeunes pleins de ressources. L’association Saint-Denis Ville au Cœur regroupe ainsi Youssef, Yanis, Annabelle et Luca, qui se sont rencontrés en étudiant les sciences politiques à l’université et qui n’ont pas forcément l’expérience de tels projets.
Lors d’une réunion avec d’autres associations locales, les quatre membres de l’association Saint-Denis Ville au Cœur décrivent leur projet de monter une marche des fiertés en banlieue. Ils insistent sur le fait que les personnes LGBTQI+ qui vivent dans ces quartiers sont souvent victimes de plusieurs discriminations qui s’accumulent, et qui rendent leurs luttes d’autant plus singulières. Leurs interlocuteurs les interrogent sur l’organisation concrète de l’événement, et si ils ont commencé à préparer les aspect logistiques. Les quatre membres de l’association sont Youssef, un marocain de Rabat, Luca, Annabelle, qui vit dans Paris, et Yanis. Ils se retrouvent régulièrement pour discuter dans des cafés, et préparent leur manifestation dans un petit studio. Un des premiers sujets qu’ils évoquent concerne la sécurité, et le choix de s’associer ou non avec la mairie. Évidemment, la question du budget est primordiale, ainsi que la communication et les répercutions médiatiques qu’ils souhaitent engranger.
En premier lieu, La première marche remplit son contrat documentaire au sens strict, en ce sens que le film se fait avant tout le témoin d’un événement. Il relate par le menu les différentes phases de la préparation de cette marche des fiertés inédite, en étant embarqué tout du long avec ses protagonistes. L’énergie de ces quatre jeunes est communicative, et la motivation dont il font preuve gagne rapidement la sympathie des spectateurs. Au travers de leurs discutions, entre eux et avec les personnes qu’ils souhaitent convaincre, la dimension politique d’une telle manifestation émerge peu à peu. Par leurs études, ils sont aguerris aux théories qui sous-tendent leurs actions, et cela ne manque pas d’intérêt de voir comment leurs discours vont prendre forme et leur permettre de traduire en pratique ces convictions. Ainsi les scènes où ces non-professionnels se mettent en avant médiatiquement, et sont parfois confrontés à certains contradicteurs, ne manquent pas de piquant.
Car La première marche, en plus de son aspect politique, nous fait découvrir plusieurs individualités et plusieurs parcours. En ceci, il met en lumière le caractère double du tissu associatif, qui se situe à la frontière de la sphère politique et de l’espace intime de ses membres. On passe ainsi beaucoup de temps avec Youssef, une personnalité haute en couleurs qui est fier de son orientation sexuelle et qui revendique tout autant ses origines marocaines. On le suit lors de ses essayages de vêtements et on l’écoute évoquer la façon dont il considère la sexualité comme un acte à la fois personnel et politique, et comment il a conscience de ses propres contradictions. La parole est donné également à Annabelle, qui n’habite pas à Saint-Denis, ce qui ne l’empêche pas de soutenir cette action à laquelle elle adhère en tant que bisexuelle souhaitant transmettre aux prochaines générations les valeurs que son engagement véhicule.
Le ton global de La première marche, très léger, donne un côté apaisé au documentaire. Les protagonistes se font souvent des blagues, et rigolent en se mettant en scène devant la caméra. Les réalisateurs n’hésitent d’ailleurs pas à se mettre eux-mêmes en avant, interpellant parfois les jeunes gens. L’humour est présent dans quasiment chacune des scènes, et la bonne entente a l’air de circuler parmi tous les intervenants. On en vient presque parfois à se demander quels obstacles ils ont pu trouver sur leur chemin, car si on entend une fois un jeune habitant de Saint-Denis leur manifester de l’hostilité, la grande majorité des passants qu’ils tentent de convaincre sont au pire indifférents à leurs arguments. Cela ne les empêche tout de même pas de rassembler un milliers de participant à leur marche, et la scène finale qui nous montre ce résultat intervient un peu comme une surprise, autant pour eux-même que pour les spectateurs, qui ne s’attendaient pas à une telle heureuse réussite.