L’affaire Cicéron (1952) Joseph L. Mankiewicz
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L’affaire Cicéron (1952) Joseph L. Mankiewicz
Un espion plus british que James Bond
On ne pourrait pas croire facilement, à voir la filmographie de Joseph Leo Mankiewicz, que l’homme put briller dans le genre si particulier qu’est l’espionnage. À voir des comédies sophistiquées telles que Eve ou Chaînes conjugales, l’affaire n’est pas gagnée a priori. Et pourtant L’affaire Cicéron, œuvre qui ne reste pas des plus connues du réalisateur, est une belle réussite. Il faut dire que Mankiewicz était un féru d’histoire (confère ses œuvres ultérieures comme Cléopâtre) et qu’il s’est intéressé de près à cet épisode peu connu de la Seconde guerre mondiale. Pour le scénario du film, il s'inspire, assez librement, d'un roman écrit par Ludwig Carl Moyzisch, qui était lors des faits un espion allemand à Ankara, officiellement attaché d'ambassade. Travaillant régulièrement avec des interprètes d'origine britannique Mankiewicz choisit ici James Mason pour le rôle principal de son film, qu'il emploiera également pour son film suivant, Jules César. Pour l'entourer, il choisit Danielle Darrieux, alors en pleine hollywoodienne, et qui incarne ici une comtesse polonaise.
Nous sommes en mars 1944 et la guerre fait rage en Europe. À Ankara, capitale de la Turquie neutre, s’est réfugiée la comtesse Anna Staviska (personnage romanesque issue de l’imagination des scénaristes) qui essaye tant bien que mal de subsister. Nous avons aussi l’ambassadeur du Royaume-Uni et son fidèle majordome Diello. Enfin, fidèle, si l’on veut : il contacte un attaché de l'ambassade du Troisième Reich, lui demandant s'il ne serait pas, par hasard, intéressé par des documents britanniques classés top-secrets. Son interlocuteur, méfiant, le surnomme « Cicéron », en référence à sa verve digne d'un tribun, mais les découments dévoilant les plans de bombardements alliés, les rassurent. Il utilise alors comme façade la comtesse Slaviska, de qui fut il y a plusieurs années le domestique, et qui se trouve désormais dans une situation financière peu reluisante. Il la rémunère pour inviter à des fêtes ses interlocuteurs de l'ambassade afin de pouvoir être en contact plus facilement.
On retrouve dans L’affaire Cicéron tous les ingrédients qui font le charme des films de Joseph Leo Mankiewicz : dialogues raffinés, intrigue finement ciselée, élégance distinguée des personnages. Et pourtant l’intrigue du film fait froid dans le dos : à quoi tient une victoire, si l’on doit se fier aux faits relater à pas grand chose finalement. Il se trouve que la vraisemblance historique est, comme souvent, plus compliqué et moins glorieuse qu'il n'y paraît, et que les personnages mis en scène à la fois dans le roman dont il est tiré et dans le film, semblaient beaucoup moins charismatiques. Là est tout le talent de Mankiewicz, qui s’approprie une intrigue qui pourrait être tout droit sorti d’un film d'Alfred Hitchcock et qui se réapproprie l’ensemble parfaitement. Pourtant le projet n'était pas porté par lui, et c'est une sombre histoire de fin d'engagement avec le studio de la Twentieth Century Fox, alors dirigé par Darryl F. Zanuc, qu'au passage il n'apprécie pas, qui le contraindra à réaliser le long-métrage.
Du coup, Joseph Leo Mankiewicz en profite pour réaliser un film à sa façon. Il remanie le scénario de L’affaire Cicéron, en y incorporant tous les éléments qu'il est coutumier d'employer dans ses productions. Ainsi, une place privilégiée sera accordée à la parole ainsi qu'aux rapport de force entre les personnages. La subtilité sera bien sûr de mise, le tout emballé avec une ironie très bien sentie dans un scénario à la construction élaborée. Au pasage, le réalisateur ne manque pas de railler les protagonistes de ce conflit de pouvoir, les mettant tous au même niveau et ne privilégiant aucun parti. Si le ridicule ne tue pas, ils sont toutefois renvoyer à un triste reflet, et leurs ambitions médiocres sont vite ravalées. Sur une bande son concoctée par un Bernard Herrmann en forme, et qui s'inspire de divers compositeurs, ces pantins semblent danser sur un volcan tout en feignant de n'en rien savoir. Tout ceci saupoudré d'une trame romanesque dans le plus pur style de l'époque.
Et si ce n’était cette intrigue vaguement amoureuse entre Diello et la comtesse Staviska, qui traîne en longueur pour, il faut l'admettre, au final pas grand chose, le rythme de l'Affaire Cicéron ne souffrirait d’aucun temps mort. Il faut dire que le film est servi par un acteur hors pair, James Mason, qui n’avait pas son pareil pour jouer des personnages troubles (il récidivera l’année d’après dans Jules César). Rarement le flegme britannique n’aura été aussi bien porté que par ce pourtant bien peu fidèle sujet de Sa Majesté (l'acteur est alors plutôt en disgrâce sur le sol européen). Quant à Danielle Darrieux, elle est toujours aussi charmante et son port aristocratique est ici habilement employé. Film politique aussi divertissant qu’intéressant, L’affaire Cicéron nous apporte encore une fois la preuve que Joseph Leo Mankiewicz était un des plus grands réalisateurs de sa génération. Il utilise ici le suspense de façon très adroite, et s'empare des codes du film d'espionnage avec talent.