El reino (2019) Rodrigo Sorogoyen
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El reino (2019) Rodrigo Sorogoyen
Le pouvoir protège le pouvoir
C’est en tant que scénariste que Rodrigo Sorogoyen commence à se faire connaître, tout d’abord dans des séries télévisuelles. Il co-réalise en 2008 une comédie romantique, puis en solo Stockholm. Sa notoriété naissante lui permet de financer Que Dios nos perdone, qui reçoit plusieurs nominations aux Goyas et y décroche le Prix du meilleur acteur. Il situe El reino en 2007, soit quatre ans avant le Mouvement des Indignés, dont la lutte contre la corruption et le bipartisme qui sévissaient alors en Espagne étaient parmi les principales revendications. La crise espagnole n’était pas survenue et deux partis dirigeaient le pays, le Parti populaire et Parti socialiste ouvrier espagnol. Ne souhaitant surtout pas nommer le courant politique auquel fait partie son personnage, ni même la région dans laquelle se passe son intrigue, il s’efforce de recruter des interprètes venus de l’ensemble des différentes composantes nationales. Le film recevra sept Goya, dont celui du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.
Manuel López-Vidal a organisé un repas au restaurant avec des collègues de son parti politique. Ils évoquent en vrac la prochaine opération des végétations que va subir l’un d’entre eux, qu’ils surnomment « la señora », et le baptême d’un yacht, Amadeus, qui les réunita au retour de Chine de leur ami Cabrera. Ils s’interrompent pour regarder à la télévision une intervention de leur cheffe de parti, qui présente son poulain, Rodrigo Alvarado. Ce jeune politicien est réputé pour vouloir lutter contre la corruption et ils ne l’apprécient visiblement pas. Le président du conseil régional les prévient toutefois qu’il a de nombreuses connections dans les hautes sphères. Seul avec Manuel, il lui confie qu’il va bientôt quitter son poste et qu’il espère qu’il sera son successeur. Il fait le tour de ses alliés pour s’assurer qu’il peut compter sur eux, quoi qu’il en coûte. Puis il croise la journaliste Amaia Marín, qu’il félicite pour le travail qu’elle effectue dans sa Matinale.
Dire que El reino est un film nerveux serait presque une lapalissade. Dès la première scène du film, une caméra à l’épaule suit le personnage principal et ne le quittera pas jusqu’à la fin. Une musique cadencée accompagne le rythme endiablé de l’intrigue, où les plans courts se succèdent. Le début du long-métrage et ses dialogues rapides où de nombreuses informations sont échangées et où plusieurs personnages interviennent, que l’on a du mal à identifier, a ainsi de quoi perdre le spectateur. Paradoxalement ce flux de paroles devient accessoire, et l’on comprend que c’est une façon pour Rodrigo Sorogoyen de mettre en avant le vide des discours de ces politiciens. Eux-mêmes ne croient pas à ce qu’ils racontent, et sont plus motivés par les guerres internes qui secouent leur parti ou par les bénéfices qu’ils pourront tirer de tel ou tel arrangement. Les mots n’ont plus aucune valeur, seules comptent les alliances, qui se font et se défont au gré du pouvoir.
Et ces enjeux de pouvoir, El reino va lentement les analyser. Au début du film, Manuel est promis à un avenir politique local flamboyant. Insouciant, il fait la fête avec ses amis et sait que son argent et ses relations lui assurent un avenir tout tracé. Or, petit à petit, il va se rendre compte de la fragilité de ce système qu’il a lui-même participé à mettre en place. Très vite, il sait le danger que portent en elles les fuites qui commencent à être diffusées et s’assure de protéger ses arrières. L’engrenage, très habilement mis en place par la mise en scène, devient à un moment inextricable et il doit prendre les devants. Le long-métrage se mue alors en un thriller où le anti-héros va devoir sauver sa peau. Ce contre-la-montre très efficace nous tient en haleine avec une maîtrise du tempo assez impressionnante. La dernière séquence aboutit à une conclusion qui n’en est pas une, mais qui pourtant résonne comme le résumé du propos de Rodrigo Sorogoyen.
Ce que le réalisateur madrilène met en avant dans El reino, c’est la vacuité d’un petit pouvoir local, qui se croit tout permis et qui peut être facilement détruit. Il pose cet argument simple, voire simpliste, que les politiques qu’il dépeint sont des arrivistes sans morale et sans conviction, qui n’hésitent pas à jouer de leur influence pour leur propre petit profit personnel. Malin, il met en scène pour protagoniste un homme que l’on sait corrompu mais pour qui, à force d’être embarqué à chaque plan avec lui, l’on finit par éprouver, peu ou prou, de l’empathie. Il peut compter pour cela sur l’excellent Antonio de la Torre, aperçu dans les années 1990 chez Alex de la Iglesia et par la suite chez Pedro Almodovar. Si la seconde partie du film est bien plus réussie que la première, il reste tout de même un solide exemple du dynamisme en cours dans le cinéma espagnol. Autant chez les réalisatrices et le réalisateurs que chez les actrices et les acteurs, une nouvelle génération arrive sur nos écrans.