Brève rencontre (1945) David Lean
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Brève rencontre (1945) David Lean
Vertiges de l'amour
Le début de carrière de David Lean a été marqué par sa collaboration avec Noël Coward, célèbre dramaturge britannique que d’aucuns comparent à Sacha Guitry. L’apogée de cette association se trouve sans doute avec ce Brève rencontre, qui eut l’honneur d’une sélection à la première édition du Festival international du film, à Cannes. Lors de son palmarès, le festival attribue alors onze Grand prix, ancêtres de la Palme d’or, soit un prix par pays représenté, « dans un souci de réconciliation ». Le long-métrage de Lean en fera partie, tout comme des films aussi différents que Le poison de Billy Wilder, La symphonie pastorale de Jean Delannoy ou Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. Il sera par la suite trois fois nommé à la cérémonie des Oscars, et figure aujourd’hui encore dans divers listes des « meilleurs films britanniques de tous les temps ». Il inspirera, dit-on, le même Billy Wilder pour sa Garçonnière, et même Nick Park pour un de ses épisodes de Wallace et Gromit.
La tenancière du buffet de la gare de Milford voit arriver un cheminot, qui lui parle d'un voyageur ayant voulu frauder. Il tente de la faire rire sans succès, ce qui ne manque pas de l’étonner Dans la salle, Laura et Alec sont assis à une table, se regardant furtivement. Puis arrive Dolly, une amie de Laura, elle s'assied à leur table et engage la conversation. Laura lui présente alors Alec, médecin qui doit bientôt partir pour s’installer en Afrique du Sud avec son épouse et ses enfants. Alec les quitte pour aller prendre son train, et Dolly continue de parler, sans se rendre compte de l’ennui qu’elle provoque chez Laura, qui profite de l’absence momentanée de son amie pour courir sur le quai de gare. Quand elle revient, Dolly voit son agitation, et lui commande un cognac avant que ne parte leur train les ramenant à Ketchworth. Rentrée chez elle, Laura embrasse ses deux enfants dans leurs lits avant qu’ils ne s’endorment et va rejoindre son mari au salon.
À l’image du qualificatif dans son titre, Brève rencontre est un film court. En moins d’une heure et demie, David Lean nous raconte une histoire d’amour intense et bouleversante. Racontée en voix off, dispositif casse-gueule qui pourtant est ici complètement fluide, cette romance peut être considérée comme un parangon de toutes les passions cinématographiques. Elle met en scène une femme mariée, belle sans être outrageusement sensuelle comme pouvaient l’être de nombreuses actrices hollywoodiennes de l’époque, et un homme ni jeune ni vieux, ni beau ni laid. Ainsi le spectateur et la spectatrice n’ont aucun mal à s’identifier à ces personnages, ce qui est d’ailleurs sans doute une des raisons pour lesquelles le film a choqué les pudibonds à sa sortie. D’aucuns y ont vu une défense de l’infidélité dans la façon qu’a le réalisateur de ne pas juger ses protagonistes. Pourtant le cœur du film réside dans ce dilemme moral auquel est confrontée cette pauvre Laura.
Épouse et mère aimante, elle subit de plein fouet le coup de foudre qui l’atteint en plein cœur, et qu’elle sait réciproque. Son cerveau l’enjoint à ne pas suivre ses élans passionnels, et pourtant elle ne peut s’y résoudre, tout comme elle ne parvient pas à s’abandonner complètement. Si nous ne connaissons presque rien de l’intimité d’Alec, qu’elle rencontre par hasard et occupe dès lors l’ensemble de ses pensées, nous la suivons chez elle et côtoyons ses amies. La superficialité de cet univers, où les uns la regardent à peine tandis que les autres ne l’écoutent pas, nous apparaît évidente, nous qui suivons le fil de ses pensées en parallèle. La démarche est habile et cela semble remarquable que ce portrait de femme aussi fouillé soit sorti de l’esprit de deux hommes, Noël Coward et David Lean, ce qui fait heureusement relativiser le concept de « male gaze », qui heureusement n’est pas systématique. Remarquons au passage dans ce Brève rencontre la finesse d’analyse du rapport amoureux en lui-même, parfaitement construit, petit à petit.
En contrepoint de cette relation inaboutie et pourtant si intense, Brève rencontre met en place des histoires parallèles qui émaillent le récit de façon impeccable. Elles mettent en scène plusieurs employés de la gare où figure une grande partie de l’action du film, et sont traité de manière beaucoup plus légère. Ainsi la patronne du bar se fait-elle draguer par un chef de train tandis que sa serveuse batifole allègrement. Chaque étape de la relation entre Laura et Alec sera introduite en miroir avec un épisode de leurs badinerie, ce qui apporte une touche d’humour très appréciable. Ces histoires nous sont servies par David Lean au moyen d'une mise en scène élégante et raffinée, sur laquelle s’appuient des interprètes de talent. Plus connue pour sa carrière sur les planches, Celia Johnson a néanmoins côtoyé au cinéma Carol Reed et Terence Fisher, tandis que Trevor Howard aura une longue carrière, couronné d’un Bafta et d’une nomination aux Oscars. Voilà en tout cas une perle à ne manquer sous aucun pretexte.