Ève (1950) Joseph L. Mankiewicz
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Ève (1950) Joseph L. Mankiewicz
« Je hais les acteurs »
Les oscars ne sont pas trompés pour une fois en 1951 en attribuant cinq récompenses à ce monument du septième art qu'est Ève. S'il a rencontré le succès deux ans auparavant avec Chaînes conjugales, c'est ce film qui ouvrira un boulevard à Joseph Leo Mankiewicz pour la suite de sa carrière. Film ultime sur la condition de comédien, il est une référence pour bon nombre de cinéphiles et de cinéaste (citons par exemple Pedro Almodovar qui lui rendit un vibrant hommage avec Tout sur ma mère en 1999). Pour la petite histoire, Claudette Colbert devait interpréter mais a renoncé au dernier moment, ce qui a laissé le champ libre à Bette Davis, dont la carrière était alors en perte de vitesse. Résultat des courses, elle repartit avec le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes.
Le début
Une jeune passionnée de théâtre, Ève Harrington, va tous les soirs voir la même pièce jouée par la même comédienne, Margo Channing. Quand une amie de celle-ci lui propose d'aller rencontrer son idole dans les coulisses, elle n'en croit pas ses oreilles.Tandis que Bill, son fiancé, qui met en scène la pièce de théâtre qu'elle joue à New-York, s'en va à Holywwood pour le travail, Margo engage Ève en tant que secrétaire. Les deux femmes vont petit à petit apprendre à se connaître, et s'apprécier, se rendant mutuellement plusieurs services et se faisant régulièrement des confidences. Quand Bill rentre, il commet la maladresse de s'enquérir en premier d'Ève, ce qui n'est pas du tout du goût de Margo, qui lui fait une scène de jalousie.
Analyse
Comme un orfèvre, Joseph L. Mankiewicz tisse dans All about Eve une intrigue d'une habileté inouïe racontée en flash back par trois narrateurs différents et ponctuée de dialogues mémorables. Cette forme narrative, qui a été éprouvée par Citizen Kane et Rashōmon, est ici maîtrisée à la perfection par un réalisateur dont les scénarri sont toujours cuisinés aux petits oignons. La preuve de la finesse des répliques trouve un exemple dans une scène. Lorsque Marilyn Monroe, ici au début de sa carrière, fait du charme à un producteur, un journaliste cynique (joué avec brio par George Sanders) ne manque pas de lui lancer : « Bien joué. Je vois ta carrière monter tel un soleil levant ». On suit donc les rebondissements du scénario avec délectation en se demandant quelles ruses vont pouvoir encore être utilisées.
Car c'est un constat sans concession sur le milieu du théâtre qui nous est offert avec All about Eve : personne ne s'y fait de cadeau, et les comédiennes les premières. Tentée de prendre sous son elle la belle ingénue, Margo Channing le regrettera bien vite ; quant à sa protégée, si elle grimpe facilement en apparence les échelons de la célébrité, elle ne va pas tarder à devoir endurer aussi le revers de la médaille. Notons au passage que les personnages principaux du film ne sont pas, pour une fois, ces pantins masculins que représentent le réalisateur, l'auteur ou le producteur. Non, celles qui manipulent les ficelles sont toutes des femmes, toutes remarquablement complexes. Comédiennes, épouse ou femme de chambre, elles arrivent bien souvent à leur fin et sont bien plus lucides que les hommes.
Et pour interpréter ces femmes de poigne, deux actrices au faîte de leur talent artistique, Bette Davis et Anne Baxter. Leur duo restera longtemps dans les mémoires comme l'une des plus belles luttes de pouvoir au cinéma. Bette Davis en particulier décroche là un de ces plus grands rôle, un rôle taillé sur-mesure de femme bafouée entre deux âges qui se voit supplanter bien trop vite par une jeune prétentieuse qu'elle a nourrie en son sein. Ève est de ces films à voir et à revoir sans se lasser, on y découvre à chaque nouvelle lecture un point de vue nouveau, une réplique qui fait mouche, un détail savamment mis en scène qui rappellent que malgré sa cruauté et son cynisme ce film est avant tout une déclaration d'amour au théâtre et aux femmes.