Pour toi, Lila
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Pour toi, Lila
Aujourd’hui est un jour mémorable pour mon fils. Pour son dixième anniversaire, j’ai décidé de lui offrir sa première sortie sur cette planète, loin des murs d’acier et de plastique de notre station. Loin de l’air aseptisé de notre refuge. Je suis certain que sa mère aurait voulu qu’il aperçoive la Terre sous un autre angle. Qu’il puisse l’admirer de ses propres yeux plutôt qu’à travers les photos et les textes de ces manuels de propagande.
Lila… Une rêveuse au cœur noble. Une rebelle insoumise. C’est ce qui m’avait séduit, mais c’est également ce qui lui coûta la vie peu de temps après la naissance de Lucas. La milice de ce gouvernement corrompu l’avait ruée de coups alors qu’elle racontait une histoire à notre enfant. La véritable histoire de la déchéance humaine.
Elle était l’une des dernières représentantes du peuple terrien, rapatriée de force pour assurer la survie de notre espèce. Toutes nos manipulations génétiques avaient fini par rendre nos femmes stériles. Nous reproduire en dehors des boites de pétrie était devenu quasi impossible. Le ministre de la Santé avait alors déclaré que toutes les femmes fertiles et en âge de procréer devaient être amenées à bord d’Ulysse 31 et accouplées avec les hommes essentiels à la station : les médecins, les professeurs, les ingénieurs… dont moi.
Je n’ai jamais été à l’aise avec cette idée de « mariage » forcé. Le viol pour me reproduire m’était inconcevable, à l’inverse de bon nombre de mes congénères qui se vantaient de leurs exploits chaque soir à la cantine. Ils riaient aux éclats, tous aussi écœurants les uns que les autres, fiers d’avoir mis en cloque ces pauvres filles. Tous eurent plusieurs descendants, alors que moi, je n’ai eu que Lucas. Le fruit de l’amour que nous nous portions sa mère et moi.
Avec le temps, nous avons fini par nous apprivoiser. Par nous apprécier. Lila était une femme brillante. Il nous arrivait très souvent de passer la nuit à discuter et à rire, allongés sur notre lit étroit. Elle était si belle lorsqu’elle souriait. Elle avait dans le regard tant de douleur, tant de tristesse. Il faut dire qu’elle avait vu tellement d’horreurs dans sa courte vie… Elle me manque et je sais que Lucas souffre de son absence. Je m’en veux de ne pas avoir su la protéger. De ne pas avoir été là alors qu’elle avait besoin de moi.
Aujourd’hui, pour honorer la mémoire de sa mère, Lucas m’accompagne dans ma ronde quotidienne, le long de cette chute d’eau incroyable entre les étoiles et les nuages. Et loin des yeux et oreilles de ces monstres qui nous gouvernent, je lui conterai l’histoire de la Terre et de Lila.
Texte de L.S. Martins (25 minutes chrono, sans relecture).
D'après Image par Ajay kumar Singh de Pixabay : Planète Espace Terre - Photo gratuite sur Pixabay.