Coup de foudre au premier regard
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Coup de foudre au premier regard
Le long de la Promenade des Anglais, sous un ciel étoilé, le temps s’est brusquement arrêté. Sur un air de Schubert, joué au piano par un inconnu talentueux, je me suis perdu dans ce regard noir onyx. Sans un mot, il s’est approché timidement de moi et m’a tendu la main. Lorsque nos doigts se sont touchés, une douce chaleur s’est emparée de moi. Il m’a tiré tendrement contre son torse et m’a entraîné dans une danse envoûtante. Au milieu de la foule, nous étions alors seuls au monde. Plus rien n’avait d’importance…
Les deux jours qui ont suivi notre rencontre ont été merveilleux. Nous ne vivions que l’un pour l’autre, oubliant tout de nos vies. De nos soucis. Ensemble, nous avons découvert le Vieux Nice, ses ruelles ombragées aux façades colorées, ses marchés aux mille saveurs et senteurs… Nous avons flâné à notre gré sur les sentiers du jardin du monastère de Cimiez et admiré le somptueux coucher de soleil sur la baie des Anges. Nous marchions main dans la main, comme deux jeunes amoureux, parlant de tout et de rien. Profitant de chaque silence. De chaque regard… refusant de penser à nos adieux inévitables.
Le retour à la réalité a été douloureux. Il ne pouvait prolonger indéfiniment son séjour. Fuir plus longtemps mes responsabilités était impossible. Tôt ou tard, nous n'aurions d'autre choix que de nous séparer. Plus exactement, le lundi à 7 heures 15, dernier appel pour Paris.
Nos sentiments à vifs, nos corps affamés l'un de l'autre, nous avons fait l'amour. Tendrement. Passionnément. Sauvagement. Nous avons parlé. Pleuré. Ri... Puis, la tête sur son épaule, ses bras autour de moi, je me suis assoupie. Et à l'aube, sans un bruit, il a quitté ma chambre.
Au petit matin, un timide rayon de soleil me réveilla. L'air frais de la climatisation mordait ma peau nue. Seule dans ce grand lit froid, je ne pus retenir un sanglot en repensant à ces quelques heures volées. Des draps humides et froissés, uniques témoins de nos ébats enflammés, se dégageait une douce odeur. Un parfum musqué qui n'était autre que le sien. Délicat. Boisé. Divinement masculin.
Sur son oreiller, j'aperçus une note. Un tendre billet griffonné sur le papier à en-tête de l'hôtel. Fermant les yeux, je l'imaginai assis sur la chaise face à moi, vêtu de son élégant costume gris, le regard perdu, la main hésitante, cherchant les mots pour apaiser mon cœur. Un timide sourire se dessina sur mon visage triste.
Frôlant du bout des doigts cette écriture maladroite, je gravai dans ma mémoire ces quelques phrases :
« J'ai passé deux jours fantastiques. Je ne croyais pas ça possible et je chérirai à jamais ces merveilleux souvenirs.
Je fais le vœu de pouvoir t'apercevoir une dernière fois. Je t’attendrai à la porte d’embarquement aussi longtemps que possible. Sache que, quoi que tu décides, jamais je ne pourrai t'oublier.
M. »
M. Voilà tout ce que je connaissais de son prénom. Une simple initiale. À aucun moment, nous n'avions échangé nos noms. Cela nous avait semblé inutile. Nous étions des âmes-sœurs, destinés à se rencontrer, à s'aimer. Et à présent, je réalisai que jamais je ne reverrais cet homme qui avait fait vibrer mon corps au premier toucher. Qui avait piégé mon cœur au premier regard... Il avait fait de moi une autre femme, et pour cette raison, je ne pouvais le laisser partir. Je ne pouvais le laisser disparaître.
5 heures sonnèrent. Je devais me préparer. Je devais le rattraper. Dans moins de 120 minutes, je n'aurai plus aucune chance de lui avouer ce que je ressens. Sans plus réfléchir, j'enfilai la plus élégante tenue de ma succincte garde-robe après avoir réservé un taxi pour l'aéroport. Je courus jusqu'à la réception, suivie de ma valise, pour régler ma note et sautai dans la voiture garée devant l'entrée. Je profitai du voyage pour acheter en ligne mon billet d'avion. Puis-je coiffer mes cheveux en un chignon bas et appliquer un peu de mascara sur mes cils et de la poudre sur mes joues et mes paupières. Je désirais être belle pour lui.
À l'aéroport, je me précipitai vers le panneau principal pour trouver le terminal du vol de 7 h 15 en destination de Paris avant de prendre la direction du contrôle de sécurité. Les minutes défilaient et je trépignais d'impatience. L'idée même de manquer ce rendez-vous me terrorisait.
7 heures. Je passai enfin le contrôle. Tout en courant, je l'imaginais debout, devant la porte d'embarquement. Les yeux guettant la foule. Les mains dans le dos. Le visage soucieux. Puis, au bruit de mes pas et de mes appels, son regard s'illuminerait. Moi, magnifique dans ma jupe rouge fourreau et ma veste blanche, sautant dans ses bras pour un baiser passionné...
Bien évidemment, la réalité était toute autre. Bien loin de cette scène digne d'un roman à l'eau de rose. Dans ma course dans les escalators, l'un de mes talons se coinça et céda. Ma cheville toucha le sol dans un craquement sourd. La douleur me fit tomber sur les marches, mais cela ne m'arrêta pas. À l'aide de la rambarde, je me relevai, les genoux en sang, ma jupe déchirée et ma veste tachée. Je me défis de mes escarpins et repris, en serrant les dents, mon sprint endiablé pour enfin arriver devant la porte d'embarquement.
7 heures 13. J'étais essoufflée, décoiffée, avec des yeux de panda, mais cela n'avait pas d'importance. Je le cherchai désespérément sans le voir. Il n'était pas là. Il n'y avait que les deux hôtesses attendant les derniers passagers pour admirer le spectacle affligeant que j'offrais.
7 heures 15. Les larmes inondant mes joues, je me laissai tomber sur l'un des fauteuils devant l'immense baie vitrée observant un avion s'éloigner. Et mon cœur se brisa.
Une main se posa alors sur mon épaule faisant naître un espoir en moi. Je me retournai avec hâte, incapable de cacher ma joie, lorsque mon regard tomba sur une belle jeune femme. Un sourire compatissant et une pitié non dissimulée sur son ravissant visage.
- Excusez-moi ? Vous êtes là pour un certain M. ?
Et comme si aucune réponse n'était nécessaire, elle me tendit une carte d'embarquement abîmée avant de retourner à son comptoir. Décontenancée, j'étudiai le bout de papier froissé que je tenais et découvris des mots qui firent de m'anéantir. Il ne m'avait pas attendu. Il était marié et ne voulait qu'une chose : m'oublier !
Il était marié et je n'avais rien remarqué. Ni alliance. Ni trace de bronzage. Avais-je fait exprès de l'ignorer? Tout ceci, était-ce ma faute ?
Après ce qui me semblait une éternité, je me relevai et rejoins les toilettes les plus proches. J'éprouvais le besoin de me débarbouiller et me changer. Enfiler des vêtements confortables et me laisser pleurer toutes les larmes de mon corps pour oublier. Voilà tout ce dont j'avais besoin. Tout ce dont j'avais envie...
Devant le miroir, je contemplai mon triste était. La femme élégante et sûre d'elle était bien loin. Face à moi, je regardais une fille épuisée et malheureuse. Les cheveux en bataille, le nez rouge et les yeux bouffis. Son mascara coulait le long de ses joues humides. Sa veste de tailleur avait perdu de son éclat, zébrée de poussière et de sang.
Devant mon reflet, je réfléchissais à tout ce que je venais de vivre. À cette rencontre. À ces deux jours. À cette nuit... et la colère embrasa mon corps. Comment avais-je pu me montrer si naïve ? Moi, qui habituellement ne me laissais jamais distraire par un sourire charmeur… Que m’était-il arrivé ? J'étais une sombre idiote, voilà tout !
Je cherchais ma trousse de toilette dans mon sac à main lorsque je me rendis compte que je n'avais pas ma valise avec moi. Dans ma hâte, je l'avais oubliée. Perdue... et, à cette heure-ci, elle avait sous doute été détruite par la sécurité. Je pouvais imaginer mes petites culottes volant en morceaux avec tous mes vêtements sous les yeux curieux des voyageurs.
Je sortis des toilettes et me dirigeai vers une boutique Duty Free de luxe. J'avais besoin de me ressaisir, d'oublier tout de cette humiliation que je m'étais moi-même infligée. Et pour cela quoi de mieux que de s'offrir un instant shopping ? La tête haute, malgré le regard hautain et quelque peu méprisant des vendeuses, je défilai dans les rayons en boitant. Je choisis un tailleur pantalon noir pour mettre en valeur mes hanches larges, une chemise rouge pour envelopper ma poitrine généreuse et camoufler mon ventre un peu trop rond à mon goût et jetai mon dévolu sur une paire de ballerines en cuir noir parfaite pour ma cheville douloureuse. Je me rendis en cabine d'essayage pour me changer et passai en caisse, laissant derrière moi mes vêtements fichus.
Témoin de mon mal-être, l'une des vendeuses me proposa une séance de maquillage pour découvrir les nouveaux produits qui faisaient actuellement fureur sur le tapis rouge. Je souris à ma sauveuse et la laissai me conduire dans une cabine privée équipée d'un gigantesque miroir de star et d'un confortable siège. Tout en me démaquillant, elle me demanda de lui raconter mes malheurs. Ce que je fis bien volontiers. Elle m'écouta sans jugement tout en me transformant à grands coups de pinceau.
Lorsque je sortis enfin de ma thérapie improvisée, j'étais époustouflante. Jusqu'à ce que je l'aperçoive. L'objet de mon désespoir. Il était là. Juste devant la boutique. Dans un costume de pilote. Une folie fille à chaque bras, riant aux éclats. Le salop !
Texte de L.S. Martins