

Plus rien à perdre
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Plus rien à perdre
En retard. Depuis que j'ai commencé ce nouveau job, je suis une véritable catastrophe. Ma première et, probablement, unique semaine n'a été qu'une succession d'impairs. Dès le lundi... Ce matin devait être une nouvelle chance pour moi de faire mes preuves. De montrer à maître Cole que je n'étais pas qu'une écervelée incompétente et un peu gauche que ces quelques jours ont laissé paraître. Et je viens d'échouer lamentablement. Pathétique.
Réveil en panne. Pas d'eau chaude. Le corps en surchauffe après un sommeil plus qu'agité. Je ne ressemble à rien. En sortant du bus bondé, mes vêtements, à présent froissés d'avoir été si serrée contre des inconnus, collent à ma peau et une odeur de cigarette mêlée à celle de la sueur, si caractéristique des transports en commun, me suit dans l'air frais de la rue. Même le parfum nauséabond de la ville ne semble pouvoir l'estomper. C'est pour cette raison que je préfère marcher.
Cet emploi est une occasion en or. Jamais je n'aurais pensé obtenir une place dans le cabinet d'avocats le plus prestigieux de la ville. Quelque chose de décent qui me permet d'espérer... de rêver au jour où je pourrais enfin offrir une vie heureuse à mon petit frère, Liam. Ce petit homme qui fait vibrer mon cœur d'un sourire. Bientôt, j'obtiendrai sa garde. Bientôt, nous serons enfin ensemble. Je me bats contre le système depuis presque deux ans. Depuis la mort violente de mes parents. Un regrettable accident de voiture, m'avait annoncé l'agent. Ils n'ont pas souffert, s'était-il senti obligé d'ajouter. Comme pour soulager la peine indicible qui me déchirait la poitrine.
Je ravale un sanglot. Respire profondément tout en me frayant un passage dans le hall du bâtiment qui grouille de monde. L'effervescence et le brouhaha ambiant me donnent le tournis. Je déteste la foule. Voilà pourquoi je fais toujours en sorte d'arriver avant 8 h. Sauf aujourd'hui. J'avais pourtant tout prévu : ma tenue impeccable, mon sac contenant toutes mes affaires pour la journée et les dossiers que j'avais étudiés ce week-end pour préparer les réunions du jour. Je maîtrisais absolument tout pour prouver que je méritais ce poste et qu'on pouvait me faire confiance. Tout sauf ce fichu réveil !
Dans quelques minutes, tout sera joué. Le temps de récupérer ma commande au café, pour maître Cole — non pour moi bien évidemment — et je serai à mon bureau. Pour l'instant, je préfère rester optimiste. 15 minutes de retard. 15 minutes que mon patron attend, sans essayer de me joindre. C'est bon signe... Peut-être n'a-t-il pas encore remarqué mon absence. Peut-être a-t-il été lui-même retenu ailleurs.
Bien sûr, je ne suis qu'une idiote, je le sais parfaitement. Il n'a pas pris la peine de me recevoir lors de mon entretien, ni même de m'accueillir lundi dernier. Il a laissé ça à l'une de ses collaboratrices, Alice, qui a choisi de me faire faux bond et de m'ignorer. Comme tout le reste de mes collègues. Mais l'ambiance toxique qui règne dans les bureaux n'est pas la raison de ma désillusion. J'ai l'habitude d'être humiliée et brimée. C'est pour cette raison que je n'ai rien avoué à maître Cole quand il m'a hurlé dessus lors de notre première rencontre. J'ai simplement acquiescé et me suis excusée, ne sachant pas réellement de quoi j'étais fautive. Que je n'ai rien dit lorsque Steve, l'un des stagiaires avocats, m'a manipulé pour que je réalise son travail au détriment du mien, provoquant une colère sombre chez mon patron. À mon encontre... À ces deux événements malheureux s'ajoutent les disparitions répétitives de mes impressions à la photocopieuse, une machine honteusement lente et un standard constamment surchargé. Mais ce qui a raison de moi, aujourd'hui, c'est l'appel que j'ai reçu samedi après-midi. Liam va être adopté.
— Bonjour. Je viens chercher la commande au nom de Clara, merci, réclamai-je au comptoir.
9 h 15. Tous les gens sont soit au travail, soit dans le hall, attendant devant les ascenseurs. Plus personne ne traîne ici. Une chance pour moi.
— Tenez. Par contre, elle était prévue pour 8 h 30. Votre café est froid et je ne suis pas responsable. Vous pouvez toujours le faire réchauffer au micro-ondes, juste derrière vous, m'indique la barista en faisant claquer son chewing-gum.
Décontenancée par le comportement hostile de cette pimbêche siliconée, je bredouille un merci et file directement au 3e étage. Pas le temps ni l'envie d'attendre qu'un ascenseur soit libre. J'opte pour les escaliers, comme toujours. Le calme qui y règne est revigorant. Je monte les marches deux à deux. J'y suis presque et mon téléphone n'a pas encore sonné. Il me reste un peu d'espoir.
Je prends le temps de contrôler ma respiration avant d'ouvrir la porte qui donne sur le couloir. Je suis ébouriffée d'avoir couru et ma chemise colle à ma peau moite, révélant un peu trop mes courbes, mais je n'ai pas le temps de m'en soucier. À peine ai-je fait un pas vers le cabinet que je suis stoppée par un mur de muscles à l'odeur envoûtante. Un mélange de cèdre et de whisky. Le café que je tenais dans ma main se répand sur mon chemisier et un juron me fait sursauter.
— Mlle Clara, grogne l'homme le plus sombre et le plus froid que je connaisse : maître Cole. Inutile d'aller plus loin. J'ai été plus que patient avec vous, mais c'est terminé. Vous n'avez pas votre place parmi les meilleurs. Vous pouvez retourner dans les bas-fonds d'où vous venez, à servir de la bière à des ivrognes mal léchés.
Je recule d'un pas, la porte se claquant devant mon nez. Me laissant seule et totalement hébétée. Je viens de tout perdre. Mes espoirs et mes rêves. Le sourire de mon petit frère.
La descente est rapide. Un retour en Enfer express. Lorsque j'arrive en bas, je tiens à peine sur mes jambes, mais je m'oblige à continuer. Personne n'est témoin de ma déchéance, Dieu merci, parce qu'il m'est impossible de ne pas suffoquer. De ne pas pleurnicher. Je cours, chancelante, sans me retourner. Les épaules secouées par des sanglots silencieux. Ce n'est qu'une fois dehors, sur le trottoir gris de cette ville qui m'a vu grandir, que je me laisse aller. Je me fiche de qui peut me voir. Je me fiche si je ne ressemble plus à rien. Je veux juste disparaître et qu'on me fiche la paix. Mais c'est trop demandé.
Une grande main m'attrape brusquement le coude, me ramenant en arrière. Dans l'élan, je me retourne et gifle l'homme qui ose m'agripper. Maître Cole. Mon bourreau. Je lève les yeux vers lui, adoptant une attitude de défi — je n'ai plus rien à perdre, il m'a déjà tout pris — et lui siffle :
— Celle-là, vous ne l'avez pas volée !
Texte de L. S. Martins (30 minutes chrono, sans relecture).
Image générée par Copilot.

