Ce soir-là
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Ce soir-là
Ce que j’aimais entendre Richy, mon petit frère, rire aux éclats lorsqu’il dansait maladroitement sur les notes de mon violon. Un son fabuleux qui résonne encore en moi… mais ce soir-là, seul le silence de notre colère grondait. Nous nous étions disputés pour une chose futile, mais, qui pour les enfants que nous étions, était grave.
Après le décès soudain de notre père, mère nous avait fait emménager dans un antique manoir avec nos grands-parents paternels. Pour se rapprocher du peu de famille qu’il nous restait, disait-elle..., mais ce n’est que bien plus tard que je compris qu’elle n’avait pas eu le choix.
C’était une demeure gigantesque et obscure, composée de cent-deux pièces exactement. Nous nous étions amusés à en compter les portes, presque toutes fermées à double tour. « Il y a trop d’objets précieux et fragiles, ici. Ce n’est pas un endroit pour de jeunes enfants comme vous. Et puis vos appartements sont bien assez grands !» , répétait sans cesse notre grand-mère.
Aussi, ce dédale de couloirs sombres et inquiétants entre nos chambres et la cuisine était devenu notre terrain de jeu. Nous restions accroupis des heures durant, l’œil devant le trou d’une des serrures verrouillées, tout en se chamaillant pour avoir la meilleure place. Nous espérions apercevoir les trésors inestimables de feu nos ancêtres. Nous élaborions de folles théories sur l’histoire de cette maison et de ses habitants dont les portraits austères ornés les murs, mêlant réalité et fantaisie.
Mais ce soir-là, l’ambiance n’était pas aux jeux. Quelle en était la raison, reste encore un mystère. Nous sortions de la salle de bain, prêts à nous mettre au lit. Je me souviens de la tête de Richy, rouge écarlate, lorsqu’il m’avait arraché l’archet des mains pour se précipiter dehors en pyjama. Sans réfléchir, je l’avais suivi en le suppliant de me rendre ma baguette, comme il s’amusait à l’appeler. Mais il n’en fit rien et notre course nous amena jusqu’à l’orée des bois interdits. Notre grand-père nous avait fait jurer de ne jamais y mettre les pieds. Quoiqu’il arrive. Quoiqu’on entende ! Mais distraits par notre querelle puérile, nous n’avions pas fait attention… nous nous étions enfoncés dans cette sombre et terrifiante forêt.
Elle était envoûtante. Ensorcelante. Des murmures incompréhensibles et des râles étranges s’en échappaient, semblant vouloir nous attirer. Fascinés, comme hypnotisés, nous marchions sur ce sentier de pierres saillantes jusqu’à une minuscule chapelle construite juste devant un immense mausolée. Un décor digne des films d’horreur qu’affectionnait tant notre cousin, Jack.
Nous avions été incapables de résister à l’envie de nous approcher. De pousser la porte de ce caveau caché dans ces bois maudits. Mon cœur battait la chamade et mes paumes étaient moites. J’imaginais une pièce poussiéreuse et froide, pleine de cercueils en pierre… mais j’étais bien loin de la vérité. Un cri effroyable sortit de ma gorge et tout mon corps se raidit. Et puis, le noir total. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé après, ni comment nous avons regagné notre chambre…, mais depuis ce soir-là, le rire de mon frère avait perdu toute son innocence, tout son éclat.
Aujourd’hui encore nous évitons de parler de cette nuit-là. De ce spectacle abominable dont nous avons été témoins. Un jour, peut-être, les mots nous viendront… Un jour, peut-être, nous en aurons la force. Mais pour l’heure, il est préférable de ne pas y penser.
Texte de L.S. Martins (30 minutes chrono, sans relecture).
Image par Angeline 01 de Pixabay : Anak Bermain En - Photo gratuite sur Pixabay