Un dernier au revoir
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Un dernier au revoir
J'ignore si c'est la gnole que m'a servi le tavernier ou la fatigue de ces derniers jours, mais je me laisse hypnotiser par les mouvements presque irréels de cette femme sur scène. Elle psalmodie d'un ton bas et profond un chant sacré. Elle se trémousse au rythme des tam-tams d'une façon séductrice, presque érotique. Ses bras flottent autour d'elle. Ses paupières papillonnent et ses lèvres pulpeuses rouge écarlate m'appellent.
J'ai tenté à plusieurs reprises de détourner le regard. De me concentrer sur la véritable raison de ma venue dans cette auberge minable. Je n'ai pas pour habitude de fréquenter le peuple. Et aucun de ces misérables n'est dupe. Je n'ai pas ma place parmi eux. Je suis né pour diriger, pour régner, pas pour me mélanger à eux. Mais chaque fois que mes yeux quittent son corps en transe, une douleur effroyable me broie les entrailles. Me retourne les tripes. Elle m'a jeté un sort et je suis, depuis lors, son prisonnier. Enfin, mon cœur l'est. Mon esprit lutte. Encore et toujours.
Cette femme est une sorcière. Une magicienne. Un succube. Elle use de ses charmes pour mettre les hommes à genoux. Je pensais être plus fort. Plus solide. Je pensais que mes forteresses étaient infranchissables. Inébranlables. J'avais tort. Il lui a suffi d'un sourire pour qu'elle ne détruise mes murs. Un sourire pour qu'elle ne s'empare de mon pitoyable cœur.
Aujourd'hui, je suis ici pour mettre fin à cette sombre comédie. Je ne me laisserai plus avoir par ses battements de cils. Je ne me laisserai plus séduire par son regard doux et langoureux. Je ne me laisserai plus charmer par cette bouche charnue. Sa voix cristalline ne me fera plus vibrer. Pas même si elle me supplie de ne pas l'abandonner. Pas même si elle avoue m'aimer. Car l'amour est un luxe que je ne peux me permettre. L'amour rend faible. Je ne suis pas faible. Je suis un roi. Et elle n'est rien. Rien que mes ennemis ne pourraient utiliser contre moi. Rien que mes amis ne pourraient retourner contre moi.
Pour me donner du courage, j'avale d'un trait ce liquide infâme qui me brûle la gorge. Je laisse quelques pièces sur le comptoir collant devant moi et je pars. Je n'ai pas besoin de lui parler. Je n'ai pas besoin de la regarder. Je sais qu'elle a compris. Que je suis venu ce soir pour l'apercevoir une dernière fois. Que je suis venu ce soir pour lui faire un dernier au revoir.
Texte de L. S. Martins (20 minutes chrono, sans relecture).
Image par junko de Pixabay : Fée Prédictions Des Fantômes Jour - Photo gratuite sur Pixabay - Pixabay