Le secret de Veronika Voss (1982) Rainer W. Fassbinder
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Le secret de Veronika Voss (1982) Rainer W. Fassbinder
C’est triste une star déchue
La trilogie allemande de Rainer Werner Fassbinder regroupe Le mariage de Maria Braun, Lola, une femme allemande et Le secret de Veronika Voss, qui obtiendra l’Ours d’or au Festival de Berlin. Trois portraits de femmes dans l’Allemagne d’après guerre, trois façons de voir comment le traumatisme de la Seconde guerre mondiale a pu y laisser des traces. Durant sa brève mais prolifique carrière, Fassbinder a en effet milité pour le droit et même le devoir que possèdent les allemands de s’interroger et d’analyser les effets dévastateurs d’une période longtemps considérée taboue. Il exploite ici un de ses thèmes de prédilection, les relations complexes entre des personnages, les uns dominants, les autres dominés. Il tire son inspiration, pour le personnage principal, de Sybille Schmitz, une actrice allemande qui commença sa carrière sous l'égide de Georg Wilhelm Pabst et de Carl Theodor Dreyer, et joua plusieurs films durant le Troisième Reich.
Le journaliste Robert Krohn est touché un soir de pluie par une femme qui a l’air triste est perdue. En la raccompagnant, il se rend compte que c’est Veronika Voss, une ancienne vedette du cinéma allemand qui connu son heure de gloire en travaillant pour les studios de la UFA dans les années 1940. Cette rencontre le touche particulièrement, et il fait part de son trouble à son amie Henriette avant de partir à sa recherche. Dans sa quête, il contacte une femme, le docteur Kratz, qui lui confie que Veronika suit un traitement médical dans son institut. Robert parvient à joindre l'actrice, qui l'invite à passer une nuit dans sa villa. Elle est soudainement atteinte d'une cris d'angoisse et il la confie aux bons soins du docteur Kratz. Il va comprendre que Veronika, dépressive, demeure sous l'emprise de l'alcool et de la drogue.
Voici donc l’occasion pour Rainer Werner Fassbinder de nous livrer avec Le secret de Veronica Voss un beau film noir, plein de suspense, teinté de mélodrame et plein de références cinématographiques. On pense ainsi par exemple à la grande période expressionniste du cinéma allemand comme le Cabinet du docteur Caligari, mais aussi à un film hollywoodien comme le Boulevard du crépuscule de Billy Wilder. Mais c’est avant tout un très beau portrait de femme qui nous est proposé ici. L'histoire d'une femme qui a eu son heure de gloire durant la période la plus noire de l’histoire allemande et qui doit vivre avec cette participation si ce n'est active, tout du moins tacite, sur la conscience, sans compter le désir de reconnaissance éternelle et la peur de vieillir. Rosel Zech livre ici une performance épatante de sincérité et d’émotion. Jouer un personnage proche de la folie n’est pas chose aisée et il serait facile de sombrer dans la caricature.
À ses côtés, Anne-Marie Düringer est particulièrement impressionnante en médecin avide et sans scrupule. Ainsi le souvenir des sinistres années qu’a connu l’Allemagne est omniprésent dans Le secret de Veronica Voss, à travers le personnage principal, dont les dernières lettres du nom font écho au Troisième reich mais aussi aux initiales de Sybille Schmidt, ainsi que via celui de ce vieil homme survivant des camps. Le magnifique travail sur la lumière et le noir et blanc impeccable mettent en relief les émotions et les failles des personnages tandis qu’un montage habile réunit admirablement les plans les uns après les autres. Les transitions y sont très subtiles, mettant en valeur l'opacité et les secrets, et surtout les apparences que souhaite garder cette héroïne malgré son désarroi profond. On notera en particulier que le cabinet du docteur Kratz est étonnant de blancheur immaculé, à mettre en perspective avec les actes peu orthodoxes qui s’y déroulent.
L'avant-dernier film de Rainer Werner Fassbinder se révèle donc une fascinante démonstration de la capacité qu'ont certains êtres humains à profiter des plus faibles. Dans Le secret de Veronika Voss, non seulement l'héroïne est-elle victime d'une narco-dépendance dont son opresseur tire profit, mais l'on y croise également un couple de survivants du centre d'extermination de Treblinka, tout aussi dépendants à la morphine. Ces personnages tragiques doivent vivre avec la mémoire de ce qu'ils ont vécu, quand tout ce qui les entourent leur rappelle un passé qu'ils souhaitent oublier. Saisissant, le film établit ainsi un parallèle avec cette Allemagne d'après-guerre, rongée par les fantômes de son passé, le refoulant en se perdant dans l'argent et la société de consommation. Une fois de plus, Fassbinder interroge.la façon dont la RFA choisit de se reconstruire, et parvient habilement à mêler à l'Histoire des destinées intimes