Night on earth (1991) Jim Jarmusch
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Night on earth (1991) Jim Jarmusch
La nuit je ne mens pas
Au début du mois de juillet 2019, le distributeur Les acacias, en coopération avec Le Pacte, ont eu la bonne idée de sortir une rétrospective sélective de films réalisés par Jim Jarmusch. On a ainsi eu droit, dans les salles programmant l'événement, à Permanent vacation, Stranger than Paradise, Down by law, Mystery train, Dead man, ainsi que ce Night on earth. Soit les six premiers long-métrage du réalisateur du récent The dead don't die, tous en versions restaurées. Pour Night on earth, Jarmusch travaillait une fois de plus avec ses fidèles collaborateurs : il reprenait Roberto Benigni, déjà vu dans Down by law et Coffee and cigarettes, pour un rôle typiquement benignien, il initiait avec Isaac de Bankole une amitié artistique qui se poursuivra dans trois autres films. Il débutait aussi un travail qui les mènera loin avec l'excellent directeur de la photographie Frederick Elmes, et quant à son fidèle complice Tom Waits, il interprètait ici une bande originale de toute beauté.
Aux alentours de 19h, la chauffeuse de taxi Corky amène à l'aéroport de Los Angeles deux musiciens un peu à la ramasse. De son côté, la directrice de casting Victoria Snelling descend de son avion et reçoit un coup de téléphone sur le tarmac, l'enjoignant d'appeler un producteur, Larry. Arrivés à destination, les deux musiciens se font engueuler par leur manager car ils ont déjà raté un avion à cause de leur retard ; c'est elle qui règle la course de taxi. La conductrice appelle son patron et se plaint car son taxi n'est pas assez bien entretenu. Victoria, de son côté, a du mal à faire passer ses jeunes actrices auprès de Larry. Elle parvient à le convaincre de passer chez lui dans la soirée pour lui montrer des essais qu'elle estime prometteurs. Voyant Victoria sortir de l'aérodrome, Corky lui demande si elle a besoin d'une course ; Victoria s'étonne qu'elle soit conductrice de taxi, mais monte tout de même dans son engin.
Les cinq segments qui composent Night on earth sont à la fois drôles et émouvants. Le premier, qui se déroule à Los Angeles, est sans doute le plus léger. Il narre la rencontre entre une directrice de casting élégante (la magnifique Gena Rowlands) et une conductrice de taxi fière de l'être (Winona Ryder en rebelle plus vraie que nature). La première ne comprend pas que la seconde refuse sa proposition d'intégrer son cheptel de jeunes débutantes. Le deuxième morceau se situe à New-York, il met en situation un immigré d'Allemagne de l'Est qui conduit comme un pied et un afro-américain haut en couleurs qui va lui faire connaître sa belle-sœur déjantée. Le troisième volet se déroule à Paris et met en scène un conducteur ivoirien qui prend en course une aveugle. Puis l'on se déplace à Rome où un italien loquace va transporter un curé pas très en forme. Enfin, à Helsinki, un conducteur de taxi déprimé va accompagner trois amis passablement éméchés.
Ainsi les situations dépeintes dans Night on earth sont loufoques, du fait des personnages qu'elles mettent en avant et surtout de leurs différences. Chacune et chacun ont leur franc-parler, leur fantaisie, leur bagou, et les interprètes qui les incarnent en jouent énormément. Forcément Béatrice Dalle regorge de réflexions franches et ne se cache pas pour malmener Isaac de Bankole, qui cela dit n'est pas bien habile dans sa tentative de séduction. Roberto Benigni en fait comme d'habitude des tonnes, il est en roue libre, et pourtant son segment est l'un des plus émouvant, en lien avec sa conclusion assez peu banale. L'histoire la plus triste, en néanmoins burlesque, reste tout de même celle qui se déroule en Finlande, où Jim Jarmusch recycle une partie de la bande de Leningrad cowbys go America, film d'Aki Kaurismäki où lui-même faisait l'acteur une paire d'années auparavant.
Ainsi Night on earth évite les pièges du film à sketchs pour une simple et bonne raison : chacun de ses segment a du rythme, de l'humour et suffisamment d'énergie pour que l'on s'y attache. Pourtant les histoires qui nous sont racontées ne sont pas profondément passionnantes, ce sont des parcours de vie en instantané, auxquels on arrive à se raccrocher bon an mal an. Mais les dialogues sont percutants, les punch lines nous font rire et les surprises sont tout de même au rendez-vous. Dans un lieu confiné comme un taxi, on a tout de même droit – au propre ou au figuré – à deux morts, une proposition d'embauche, un clown pas si triste mais terriblement seul, une aveugle qui en veut : on ne peut pas en dire autant de tous les films. Finalement, Jim Jarmusch dessine ici ce qui l'a toujours motivé, le portrait de personnalités atypiques, souvent en marge, et propose un univers où le dialogue permet les rapprochements ; c'est pas si mal.