Le salon de musique (1958) Satyajit Ray
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Le salon de musique (1958) Satyajit Ray
Une classe s’éveille, une autre s’éteint
Fraîchement auréolée du succès international de son premier film, La complainte de sentier, d’inspiration néoréaliste, Satyajit Ray poursuit sa Trilogie d'Apu avec son deuxième film, L'invaincu, puis fait un pas de côté avec La pierre philosophale. Il décide ensuite d'adapter un conte bengali très célèbre de l’auteur Tarashankar Bannerjee. Laissant quelques critiques perplexes, Le salon de musique n’en décroche pas moins un joli succès dans son pays. Néanmoins il faudra attendre quelques années avant de découvrir le film à l’étranger. Superbe chant du cygne d’une classe aristocratique en déliquescence, le film est aujourd’hui considéré comme une des pierres angulaires de l’œuvre du maître indien.
Le début
Roy, propriétaire terrien imbu de sa personne, est un des derniers représentants de la caste des « Zamindar » qui ont régné sur l’Inde jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale. Voyant peu à peu son pouvoir contesté par un nouveau riche de ses voisins, Ganduly, il essaye de lutter pour conserver les quelques privilèges qui lui restent. Amateur d’art et grand oisif devant l’éternel, il continue à organiser des soirées somptueuses avec des invités de marques que sont les chanteurs traditionnels, telles celle donnée en l’honneur de son fils unique Khoka qui fête son initiation sacrée. Ces dépenses faramineuses ne sont toutefois pas du goût de son épouse et surtout de son intendant.
Analyse
À l’instar de Luchino Visconti cinq ans plus tard avec Le guépard, Satyajit Ray met en scène la fin d’un règne. Celui d’un homme à la fois grandiose et pathétique, qui voit son monde s’effriter sous ses pieds sans rien faire pour limiter les dégâts. Finalement c’est un peu ça, Le salon de musique, la description d’un homme ambigu et flamboyant, qui voit sa déchéance arriver mais refuse toute compromission. Jusqu’au bout il luttera contre l’arrivée de ce parvenu qui n’a aucune classe, et jusqu’au bout il gardera ce panache qui a été son moteur pendant si longtemps, sans se rendre compte que la poursuite de ce train de vie pourrait signer la fin d'un monde.
Parce que Roy, campé avec beaucoup de finesse par le grand acteur indien Chabbi Biswas est comme ça : à la fois détestable par son arrogance et son auto-suffisance et à la fois attendrissant par son côté grandiose, profondément humain en somme. La force du film, au delà de ce formidable portrait, c’est la musique qui l’imprègne du début à la fin. Satyajit Ray réalise ici comme un long chant musical, une partition envolée qui brasse tout son sujet. Les scènes se déroulant dans ce fameux Salon de musique tant convoité et qui donne son titre au film sont réalisées d’une main de maître et nous font découvrir cette musique traditionnelle exotique pour nos oreilles d’occidentaux et tellement envoûtante.
Ainsi les séquences de danse et de musique sont-elles étonnantes, et font intervenir de nombreux artistes indiens de l'époque. Mais il y a aussi un humour irrésistible et quelque peu pince sans rire dans Le salon de musique, en particulier avec le personnage du serviteur. Le comédien Kali Sarkar incarne le personnage d’une façon malicieuse et émouvante : on le voit rempli de joie à l’idée d’astiquer lustres et miroirs afin d’organiser la réception qui, il ne le sait pas, sonnera le glas de la toute-puissance de son maître vénéré. Raffiné et subtil, le film reste un morceau de choix de la carrière de Satyajit Ray et du cinéma en général.