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Madre (2020) Rodrigo Sorogoyen

Madre (2020) Rodrigo Sorogoyen

Published Jul 22, 2020 Updated Jul 22, 2020 Culture
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Madre (2020) Rodrigo Sorogoyen

Disparition inquiétante et instinct maternel

En 2017, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen avait réalisé un court-métrage, Madre, tandis que son précédent long, Que Dios nos perdone, avait, l’année d’avant, reçu un accueil critique très favorable. À sa sortie, Madre parcourt les festivals internationaux et reçoit de nombreux prix, dont le Goya du Meilleur court-métrage de fiction. Entre temps, Sorogoyen s’était lancé dans un nouveau projet, qui deviendra El reino, lui-même multi récompensé à la cérémonie suivante des Goya, et qui conforte la réputation du metteur en scène. Mais l’expérience que le réalisateur a vécu avec son court-métrage lui donna l’envie de prolonger l’expérience, avec la même équipe. Ainsi apparaît aujourd’hui Madre sur les écrans internationaux, après être passé par la Section Orizzonti du Festival de VeniseMarta Nieto a reçu le prix de la Meilleure actrice. Initialement prévu dans les salles françaises le 22 avril 2020, le film a vu sa sortie décalée de trois mois en raison de l’épidémie de covid-19.

À Madrid, Elena rentre avec sa mère dans son appartement, lui dit qu'elle a prévu d'aller dîner avec des amis et se fait gentiment taquiner sur sa vie amoureuse. Son fils Iván l'appelle du portable de son père Ramón, qui l'a laissé seul sur une plage. Ils étaient partis en vacances ensemble en camping-car dans le sud-ouest de la France et Ramón ne semble pas dans les parages. En lui posant quelques questions, Elena essaye de comprendre où est le garçon, afin de pouvoir envoyer quelqu'un le chercher. Elle passe le téléphone à sa mère tandis qu'avec un autre appareil elle tente de joindre une amie de Ramón. Celle-ci ne sait pas plus où ils sont allés, et promettent de rappeler Elena si elle a des nouvelles. Celle-ci demande alors à sa mère d'appeler la police tandis qu'elle reprend Ivan au téléphone, et elle se rend compte qu'il n'a bientôt plus de batterie. Elle tente d'expliquer à une policière sa situation, et essaye de la convaincre, sans succès, de localiser le téléphone.

Le premier quart d’heure de Madre est impressionnant. Rodrigo Sorogoyen reprend ici l’intégralité de son court-métrage, filmé en plan séquence. Le fait de vouloir prolonger une telle expérience n’est évidemment pas une première, et on se souvient de nombreux cas d’école, entre Whiplash et Mamá en passant par Les Misérables ou bien Cashback. Là où le réalisateur va plus loin, c’est qu’il choisit de placer la suite de son histoire dix années plus tard. Tandis que le court-métrage se terminait sur une issue dramatique, on aurait pu s’attendre à ce que Sorogoyen nous raconte les suites immédiates de la décision finale de son héroïne. Que nenni, au risque de froisser les spectateurs il choisit de centrer son intrigue sur les conséquences de cette décision, et sur les séquelles que l’événement traumatique a pu laisser. On comprend assez vite l’enjeu dramatique, et ce qui semblait commencer comme un thriller se mue en drame psychologique.

C’est tout le talent de Madre que de transformer toute la tension accumulée lors de cette scène d’introduction en intérêt qui va croissant pour le destin du personnage principal. L’exposition du film, virevoltante, laisse ainsi le spectateur pantelant, puis un carton qui nous indique que dix années ont passé depuis ce drame initial, et ça fait un effet bœuf, on a envie de savoir ce qui s’est passé depuis. Mais Rodrigo Sorogoyen prend son temps, et c’est sa mise en scène, toute en subtilité, qui va se charger d’évoquer la trajectoire d’Elena. Il nous suffit par exemple d’un seul regard pour comprendre que le jeune homme qu’elle voit courir sur cette plage évoque en elle le souvenir de son fils. S’instaure alors une relation ambigüe entre ce Jean, clairement attitré par cette femme d'âge mûr, qui elle-même ne peut s’empêcher de le suivre. Inutile de dire que les parents de l’adolescent vont s’en mêler, et que rien ne sera simple. Le retour de l’ancien mari d’Elena ne fera que compléter ce nœud gordien bien noué.

On ressent ainsi un trouble pas du tout inintéressant devant Madre, qui provient en grande partie de cet attachement réciproque qu’éprouvent Elena et Jean. Elle a quasiment vingt-cinq ans de plus que lui, et il pourrait tout à fait être son fils : autant dire que l’inceste plane sur leurs échanges. D’ailleurs cette femme espagnole faisait déjà beaucoup jaser dans la petite communauté du Pays basque où se passe l’intrigue. Et l’on peut compter sur le talent de Marta Nieto pour interpréter cette mère à la fois courageuse et énigmatique. L’actrice, que l’on jusqu’à présent peu vue au cinéma, interprète son rôle de façon magistrale, ses expressions faciales nous communiquant parfaitement ses craintes et sa douleur. On retrouve aussi le prometteur Jules Porier ainsi qu’une prestation courte mais comme toujours excellente d’Anne Consigny. La douce lumière diffusée par le chef opérateur Alex de Pablo parachève de convaincre un spectateur qui, s’il est prêt à se faire surprendre, passe un très bon moment de cinéma.

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