La splendeur des Amberson (1942) Orson Welles
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La splendeur des Amberson (1942) Orson Welles
Grandeur et décadence
L’anecdote est assez amusante : il se trouve que quand, en 1918, Booth Tarkington a écrit son roman La splendeur des Amberson, l’auteur qui était un proche de la famille Welles s’est paraît-il inspiré d’Orson Welles himself pour le personnage de George Amberson (d’ailleurs le véritable nom du réalisateur est George Orson Welles). Plus de vingt ans plus tard le fantasque réalisateur de Citizen Kane en tirera une superbe adaptation. La genèse du film est mouvementé, et pour son second long-métrage, le cinéaste va cumuler des retard dans le tournage, et préparer en même temps un film qui finalement n'a jamais abouti, It's all true. Il va même être amené à être secondé par un autre artiste de talent, qui n'est autre que Robert Wise, alors monteur, tandis que leur maison de production, la RKO, n'hésitera pas à leur imposer plusieurs coupes.
Le jeune Eugène Morgan est amoureux de la riche héritière Isabel Amberson, et elle n'est pas insensible à son charme, bien au contraire. Pourtant, celle-ci va se marier avec Wilbur Minafer, et un fils, George, sera le fruit de cette union. C'est un enfant pas du tout commode, il se montre très souvent irascible et tempétueux. Son caractère ne fait que s'affirmer à la mort de son père, encouragé qu'il est par une mère dévorante d'affection et qui ne jure que par son fils unique. Eugene, quant à lui, a épousé une femme, morte entre temps, avec qui il a eu une fille, prénommée Lucy. Vingt ans ont passé, et les Amberson donnent un bal, où Eugene, revenu dans sa ville natale, assiste avec Lucy. Les deux anciens tourtereaux se retrouvent, et se rendent compte la flemme n'est pas éteinte, tandis que George et Lucy font connaissance.
Ainsi le film que l’on voit n’est pas celui qu’aurait voulu Orson Welles. Exilé de force en Amérique du sud durant le tournage de La splendeur des Amberson, on ampute largement son œuvre et on lui impose un montage sans le consulter. Du coup le film qui devait durer près de deux heures et demi n’en fait plus qu’à peine 90 minutes, et une fin artificielle lui est greffée. Ce qui nuit forcément à cette chronique d’une famille peu à peu ruinée, dont on ne peut qu’imaginer la beauté initiale tant déjà ce qu’on nous donne à voir ici est impressionnant. En regardant de plus près la première partie de la filmographie d'Orson Welles, on ne peut qu'être épaté devant la maturité déjà à l'œuvre, pourtant dans deux styles différents. Si le motif de la déchéance est commun, la forme du récit n'a rien à voir : là où le premier n'est que déconstruction, ce deuxième opus est d'une linéarité impeccable.
Avec un humour raffiné le narrateur débute le récit en nous montrant l’apogée des Ambersons, riche famille appréciée de tous. Cependant, et ce dès la première phrase du film, on sait que c’est déjà le début de la fin. Et déjà on sait que l’artisan de cette ruine sera le fiston hyper gâté George, très bien interprété par Tim Holt. La splendeur des Amberson déroule alors une histoire pleine de rebondissements, de morts et de passions, pleine de vie en somme. La mise en scène y est prodigieuse, en témoignent les nombreux travellings et autres usages impeccables de la caméra, ponctués par des fondus enchaînés de toute beauté soulignant d'autant plus le caractère nostalgique de ce qui nous est présenté à l'écran. Car c'est bien là le propos d'Orson Welles, que de nous conter le temps qui passe et l'inexorabilité du destin.
On assiste ainsi à travers ce portrait d’une famille qui refuse la modernité au passage aigre-doux d’une époque à une autre, avec en parangon de cette évolution l’apparition contestée de l’automobile. Refusant l’idée même de travailler, George enfonce un peu plus le déclin de sa lignée en cultivant une relation filiale d’une proximité déplacée avec sa mère. Les relations entre les personnages sont remarquablement rendus, notamment cette rivalité amoureuse qui existe entre la belle-sœur Fanny (impériale Agnes Moorhead) et Isabel. Les qualités visuelles du film ne sont pas en reste, Orson Welles maniant le noir et blanc de façon exquise et faisant un parfait usage des décors et des costumes. On ne s’ennuie pas une seconde dans La splendeur des Amberson, au contraire à la fin on a envie que ça ne s’arrête pas.