L'inconnu du lac (2013) Alain Guiraudie
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L'inconnu du lac (2013) Alain Guiraudie
Pulsion de mort et instinct de vie
Présenté à la sélection Un certain regard lors de la 66e édition du Festival de Cannes, L’inconnu du lac est reparti avec la Queer palm ainsi que le Prix de la mise en scène. Le film a fait beaucoup parler de lui et a mis sur le devant de la scène Alain Guiraudie, un réalisateur qui se fait généralement discret. Originaire du sud-ouest, d’une famille d’agriculteurs, il s’est attaché à dépeindre dans ses film la classe ouvrière ainsi que, par exemple dans Le roi de l’évasion, une certaine idée de l’utopie politique et sexuelle. Ici il s’est inspiré, pas forcément consciemment, de l’œuvre de George Bataille, en particulier lorsque celui-ci écrit, dans La littérature et le mal, que « l’érotisme est [dans] l’approbation de la vie jusque dans la mort ». Une phrase qui l’a travaillé sans qu’il en soit vraiment conscient et qui se reflète parfaitement dans son film.
Comme tous les ans, Franck se rend sur la plage gay qu'il fréquente depuis quelques temps. C'est un spot naturiste au bord d'un lac, où les mecs sont surtout là pour draguer, et consommer sur place. Il profite du soleil et se baigne, puis vient se sécher auprès d'un autre homme, Henri, qui se tient à l'écart. Au cours d'une conversation à bâtons rompus, il apprend qu'Henri vient de se séparer d'avec sa compagne, et ce dernier se montre étonné d'apprendre que Franck s'assume en tant qu'homosexuel. Puis ils échangent quelques banalités sur leur travail respectif avant que le regard de Franck ne se pose sur un homme qui l'attire particulièrement. Il quitte alors un peu brutalement Henri pour aller rejoindre l'homme, qui s'est dirigé vers la forêt limitrophe, où il le découvre en train de faire l’amour avec un garçon.
Dans sa structure, L'inconnu du lac invoque la tragédie grecque. La règle des trois unité est quasiment là : on ne bouge pas du lac, les séquences débutent et se terminent par le matin et le soir, l'action peut se résumer à des rapports de séduction qui se répètent à quelques variations près. Le danger est présent et l'innocence côtoie le mal : nous ne sommes également pas loin du conte. Mais bien heureusement tout ceci n'est pas aussi manichéen, et le jeune ingénu a lui aussi des choses à se reprocher.
Tombant sous le coup de la passion, les sens exacerbés par une nature superbement mise en avant via la photographie et la mise en scène, débute pour lui la déraison, et sa nature jusqu’au-boutiste va le faire vivre l’instant présent jusqu’à ses limites. En l’occurrence, le danger ne fait qu’attiser son désir, et comme dans toute bonne analyse psychanalytique Eros n’est pas bien loin de Thanatos. À première vue, le sexe, le désir, l’amour et la mort sont donc les thèmes principaux que développe L’inconnu du lac. Et le film de n’être jamais didactique, il nous présente les choses sous la forme d’un thriller érotique très prenant.
Alors oui, on peut y voir une éjaculation frontale, une fellation en gros plan et des phallus au repos ou en érection : autant de signes ostentatoires matérialisant le désir et son aboutissement. Car les hommes que nous dépeint Alain Guiraudie, et qu’il nous montre tels qu’ils sont, dans leur beauté ou dans leur faiblesse, ne reproduisent finalement que les usages de la société de consommation, l’échange monétaire en moins. Mais le désir, une fois consommé, n’est plus utile, et chacun s’en retourne dans ses préoccupations. Ainsi en plus d’être la critique acerbe d’une communauté homosexuelle qui n’existe pas, c’est la société humaine dans son ensemble que L’inconnu du lac interroge.