Le couteau dans l’eau (1962) Roman Polanski
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Le couteau dans l’eau (1962) Roman Polanski
Rapports de forces et vent de liberté
Le tournage du Couteau dans l’eau, dont le scénario fut co-écrit par l’étudiant qu’était alors Jerzy Skolimowski, n’a pas été de tout repos. Pour son premier film, Roman Polanski enchaîne les catastrophes : une actrice non professionnelle qu’il fait diriger, des conditions climatiques exécrables, un emprisonnement d’une nuit, une séparation, un accident de voiture et un séjour à l’hôpital. Le film sort qui plus est en catimini et n’aura pas de très bons échos en Pologne, ce qui finira de convaincre son auteur de s’exiler en France. Il reçoit ailleurs un accueil nettement plus favorable, avec en particulier l’obtention du Prix Fipresci à la Mostra de Venise ainsi qu’une nomination à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Un couple se dispute dans la voiture : l’homme n’apprécie guère la façon de conduire de sa femme. Celle-ci lui laisse le volant et ils roulent alors à toute vitesse. Soudain ils voient au milieu de la route un jeune homme qui fait du stop. Bon gré mal gré, le conducteur s’arrête et invite le jeune homme. Il lui dit qu’ils ne pourront pas le garder bien longtemps puisqu’ils vont bientôt arriver à leur destination : un ponton d’où ils comptent partir en bateau pour la journée. Arrivés là-bas, le jeune homme les aide à prendre le large et au dernier moment le mari lui propose de venir avec eux. Le jeune étudiant qui n’a jamais pris la mer accepte et les aide tant bien que mal à partir.
Un vent de liberté souffle dans Le couteau dans l’eau. Roman Polanski n’a alors pas 30 ans et Jerzy Skolimowski tout juste 24. Ils ont envie de raconter, et de dénoncer, plein de choses et ça se voit. Pourtant la façon dont-ils le font est très subtile. Comme dans la suite de sa carrière, le réalisateur polonais raconte une histoire qui pourrait sembler anodine pour y insuffler des idées politiques et sociétales. Ici, les rapports de force qui unissent les trois protagonistes de l’œuvre (la rareté du nombre de personnages est d’ailleurs à souligner) vont petit à petit émerger. Les deux hommes vont s’affronter autour de cette femme et c’est autant une compétition sentimentale, et même sexuelle, que sociale.
L’un a de l’argent, il est un parvenu, alors que l’autre est un jeune étudiant qui ne rêve peut-être inconsciemment que de ce statut et qui va faire valoir sa jeunesse pour séduire la femme et agacer l’homme. La science du cadrage atteint dans Le couteau dans l‘eau une quasi-perfection tout à fait remarquable, d‘autant plus pour un premier film. Roman Polanski joue avec la caméra, la positionnant toujours au meilleur endroit pour capter des petits détails qui vont à chaque fois souligner son propos. Cette intelligence de la mise en scène, jamais explicitement formalisée, instille petit à petit la tension qui monte dans cette embarcation qui renforce forcément le sentiment d’oppression.
À l’occasion de ce voyage l’homme et la femme de ce Couteau dans l'eau vont se rendre compte qu’ils ne s’aiment plus (se sont-ils jamais aimés ?), ils en viendront même à se mépriser mutuellement. Par de fines allusions, Roman Polanski évoque la domination masculine, la transition d’un pays voire même de la société pré soixante-huitarde qui aspire à plus de liberté. Tout ça, dans un huis-clos, et au travers d’une histoire qui lorgne vers le polar : ce sont d’ailleurs autant d'éléments que le réalisateur va s’appliquer à utiliser de façon régulière tout au long de sa carrière.