L’innocent (2022) Louis Garrel
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L’innocent (2022) Louis Garrel
Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde
Les premiers pas de Louis Garrel dans la réalisation se sont faites en 2015 sous la houlette de Christophe Honoré, avec qui il avait tourné six films, et qui l’assiste dans la libre adaptation des Caprices de Marianne, d’Alfred de Musset. Puis il écrit le scénario de L’homme fidèle et de La croisade avec Jean-Claude Carrière, avant de s’atteler à celui de L’innocent avec Tanguy Viel. Ce projet, qui était prévu après la sortie de son premier long-métrage, est inspiré de la vie du réalisateur. Fils de Philippe Garrel et de Brigitte Sy, Louis Garrel a vu, quand il avait dix-huit ans, sa mère épouser un détenu à qui elle donnait des cours de théâtre en prison. Brigitte Sy avait raconté cette histoire dans Les mains libres, dont le prénom du personnage principal masculin était Michel, qui n’est autre que le prénom du sortant de prison qui épouse la mère du protagoniste de L’innocent. Celui-ci se prénomme Abel, tout comme se prénommaient les personnages principaux des trois premiers longs-métrages de Louis Garrel, qu’il interprétait aussi.
Le début
Animatrice d’ateliers de théâtre dans une prison, Sylvie tombe amoureuse de Michel, un des détenus, et l’épouse. Le jour du mariage, est présent Abel, le fils de Sylvie, qui fait ouvertement remarquer à Michel que c’est loin d’être la première fois que sa mère épouse un ancien prisonnier. Car Michel sort de prison, et il concrétise le projet de Sylvie d’ouvrir un magasin de fleurs, avec on ne sait quels fonds de départ. Cela inquiète Abel, et il s’en ouvre avec son amie proche, Clémence. Celle-ci était auparavant la meilleure amie de Maud, l’ancienne épouse d’Abel, morte dans un accident de voiture alors qu’il conduisait. Ils se mettent tous les deux en tête d’espionner Michel, afin d’en savoir plus sur ses magouilles, soupçonnées par Abel. Lors de la soirée d’ouverture de la boutique, Abel s’aperçoit une arme dans la poche de la veste de Michel, et le suit une fois de plus alors que celui-ci s’éclipse pour aller rejoindre un de ses amis, Jean-Paul.
Analyse
Avec beaucoup d’attention, Louis Garrel reprend dans L’innocent les caractéristiques principales des polars. L’intrigue est classique, celle d’un braquage mené à la fois par des anciens voyous et par des amateurs. De nombreuses scènes sont typiques de ce genre, en particulier les filatures menées par le protagoniste, gauche à souhait. Mais on retrouve aussi les archétypes d’un film de famille, avec le fils jaloux du beau-père, la mère excentrique et l’absente, en l’occurrence l’épouse du personnage principal. Tout ceci baignant dans un univers auteuriste à la française, avec l’histoire d’amour en trame de fond, qui va servir de catalyseur pour le dénouement de l’intrigue policière. On est clairement ici, non pas dans du déjà-vu, mais en terrain connu, entre gens de confiance, pourrait-on dire. On retrouve d’ailleurs dans le générique du films quelques figures qui sonnent familièrement aux oreilles des cinéphiles, tels Léa Wiazemsky, ou Grégoire Hetzel, fidèle compositeur d’Arnaud Desplechin.
Pourtant Louis Garrel quitte avec L’innocent les sentiers battus de ses premiers longs-métrages. Il travaille avec de nouveaux interprètes, telles Anouk Grinberg, que l’on est ravis de revoir à l’écran, et Noémie Merlant, qui reçut à juste titre un César pour ce second rôle. Il se démarque aussi de la pure tradition des films policiers à la française en apportant une touche d’humour décalé, toute à fait bienvenue. Mais le film ne colle pas non plus au ton de la pure comédie de certains films de braquage, qui souvent partent vers des délires, puisque l’on garde ici une touche d’émotion qui éclate dans certaines scènes clés. L’exemple typique est cette longue et très belle séquence dans un restaurant d’autoroute, qui débute de façon badine pour se diriger vers le burlesque avant que l’émotion ne jaillisse, alors qu’on ne l’avait pas forcément anticipé. Ce mélange est assez efficace, et dynamise l’intrigue, éculée et pas forcément passionnante en elle-même.
Le caractère autobiographique de L’innocent, s’il s’éloigne forcément du vécu de son auteur, apporte tout de même un ton de véracité, tout en évitant le caractère trop plaqué d’un film très documenté. On croit à ces personnages farfelus, entre une mère à la folie douce et un ancien détenu qui lutte contre ses démons. S’ils ne sont pas assez fouillés, ils donnent au film un petit cachet assez plaisant, auquel s'ajoute une bande originale variété rafraîchissante. Le récit manque toutefois d’ampleur, et la grosseur de trait de certaines situations n’est pas à l’avantage du long-métrage. Toutefois, on y trouve quelques scènes marquantes, telle cette répétition plus vraie que nature, où Roschdy Zem s’en donne à cœur joie. Ainsi une certaine sincérité se dégage de l’œuvre, qui navigue entre ses racines de film d’auteur et sa volonté de s’adresser à un grand public, qui du reste n’a pas boudé son plaisir en allant le voir en salles. C’est encourageant pour un réalisateur qui gagnerait toutefois à moins se mettre en avant en tant qu’acteur.