Albatros (2021) Xavier Beauvois
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Albatros (2021) Xavier Beauvois
Qui trop embrasse mal étreint
Habitant désormais en Normandie, Xavier Beauvois avait déjà ancré ses personnages dans une usine de cette région quand il a filmé Selon Matthieu. Pour Albatros, c’est un article consacré au mal-être d’un agriculteur qui a suscité son intérêt. Du reste, le réalisateur confirme ici l’éclectisme de ses choix de sujet quand il s’agit de mettre en scène ses histoires. Il a commencé par évoquer un drame familial situé dans sa région natale, le Nord, avant de bifurquer vers la tragédie d’un jeune homme séropositif dans N'oublie pas que tu vas mourir. Il s’est par la suite tout autant intéressé à la police judiciaire de Paris qu’aux moines de Thibirine ou à un fait divers entourant l’enterrement de Charlie Chaplin. Il choisit pour ces interprètes principaux Jérémie Rénier ainsi que son épouse à la ville, qui est aussi la monteuse de son film, Marie-Julie Maille. Il choisit de tourner son film à Étretat, où il connaît bien en particulier les gendarmes qui sont les protagonistes de son récit.
Commandant de brigade à la gendarmerie d’Étretat, Laurent fête avec leur fille l’anniversaire de sa compagne, et la demande en mariage à cette occasion. Le lendemain matin, un couple d’Asiatiques se marient sur la plage quand soudain un corps tombe de la falaise. Laurent est appelé avec son équipe sur les lieux pour confirmer le décès, et il soupçonne rapidement un suicide. À la gendarmerie, le quotidien prend rapidement le pas, entre les discussions des équipes concernant l’utilisation du Flash-Ball dans le cadre des manifestations et les affaires en cours, dont cette enfant qui est venue déclarer que son père a effectué des attouchements à son encontre. Laurent reçoit Julien, un agriculteur qui lui explique sa situation financièrement délicate. Il a de plus en plus de paperasse à remplir pour obtenir des subsides, en particulier dans le cadre de la Politique Agricole Commune, et qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts. Voyant la détresse du jeune homme, Laurent lui demande s’il pense au suicide.
On a l’impression, en regardant Albatros, d’assister à trois films différent. La première scène nous entraîne dans la vie familiale du personnage principal, et nous permet d’entrer dans son intimité et de bien poser les enjeux intimes du récit. Puis l’on assiste à la mort d’un individu, et l’on se met à penser que le scénario va se tourner vers la résolution de ce que l’on prend pour un mystère, à savoir pourquoi cet homme a chuté si soudainement d’une falaise. La suite va nous prouver le contraire, et les séquences qui nous sont présentées nous font penser que l’on va assister, à l’instar du Petit lieutenant, qui nous montrait les faits et gestes de membres de la police judiciaire, au quotidien d’une brigade de gendarmes normands. Soudain l’histoire prend une tournure toute particulière et l’on se retrouve au cœur d’un drame psychologique, tendu et fébrile. Quelques temps plus tard, le tempo vire de bord et l’on nous emmène dans un périple inattendu, où se mêlent des dangers et une pointe de surnaturel.
Ainsi Albatros a-t-il l’ambition de dire beaucoup de choses, trop sans doute, et sur beaucoup de registres différents. On sent qu’une des préoccupations de Xavier Beauvois est de dépeindre, dans un cadre naturaliste sans rentrer dans les codes du documentaires, la vie d’une communauté rurale. Tout le monde s’y connaît, et les difficultés sont nombreuses, en particulier pour le monde paysan, et ces enjeux sont du reste très habilement mis en perspective. Mais en parallèle, le réalisateur tient à focaliser son récit sur un personnage, ce gendarme qui fait face à des enjeux qui le dépassent, et l’on va donc suivre ses états d’âme et surtout le traumatisme qui va être le sien, encore une fois finement mis en scène. Ajoutons à cela l’histoire de cette future épouse qui a l’air ambivalente à l’idée de cet événement, et cette famille dysfonctionnelle que l’on suit en pointillé mais dont on aimerait en connaître un peu plus. Tout ceci est bien chargé, et l’on se demande parfois quel est le sujet du film.
Reste que la mise en scène d’Albatros est particulièrement soignée, et se remarque encore plus lors de quelques séquences chocs que l’on retient tout particulièrement. Une des scènes clés du film concerne trois personnages qui, sans divulgâcher, se retrouvent soudainement dans une situation inextricable. La tension y est particulièrement palpable, et l’on sent que la situation peut basculer à tout moment vers une issue heureuse ou pas. Lors d’un autre moment clé, on se retrouve embarqué dans une tempête impressionnante, et Xavier Beauvois parvient très subtilement à nous faire comprendre l’état d’esprit du protagoniste, et le danger auquel il doit faire face. Enfin on assiste à une apparition inattendue, qui occasionne un retournement dans le scénario, et qui, alors qu’elle pourrait paraître incongrue et lourde, est amené d’une manière tout à fait subtile. Ainsi c’est dans son traitement que le film parvient à nous maintenir en haleine jusqu’à son terme, qui ceci dit est un peu convenu.