Plaire, aimer et courir vite (2018) Christophe Honoré
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Plaire, aimer et courir vite (2018) Christophe Honoré
Memento mori
Il est difficile de jeter un regard sur Plaire, aimer et courir vite sans évoquer la biographie de son réalisateur Christophe Honoré. Il avait une vingtaine d'année quand il était étudiant à Rennes, comme son personnage principal. Comme lui, il « monte à Paris » juste après pour accomplir sa destinée d'artiste, au milieu des années 1990. Et Honoré est aussi aujourd'hui un père de famille homosexuel, qui a fait un enfant avec une de ses amies, le même parcours que son autre personnage, et qu'il raconte dans le livre Ton père. Bien sûr le film n'est pas son histoire, même s'il a puisé dans ses souvenirs de jeune adulte, et même si le personnage incarné par Pierre Deladonchamps est, lui, une sorte de mélange de plusieurs écrivains de cette époque, qu'Honoré aurait rêvé rencontrer. Pour lui, c'est aussi un retour à ses premières amours de cinéphile, tendance Nouvelle vague, après un détour par la comédie musicale et par les adaptations dites « d'époque ».
Un personnage, Jacques, attend quelqu'un à la célèbre brasserie parisienne Lipp. En lui apportant sa boisson, le serveur le taquine en lui disant que « ça va la faire venir ». Mais c'est un jeune homme au débit de parole saccadé, Jean-Marie, qui le rejoint ; en sortant, ils discutent de leur relation, qui dure depuis cinq ans. Jacques semble très attaché à son compagnon et lui exprime son amour, ne cherchant pas à se faire aimer en retour. Rentré chez lui, il retrouve son ami Mathieu, resté garder le fils de Jacques. Mathieu s'inquiète de la relation à sens unique que son ami entretient ; il lui propose de « chasser le dragon » avant de retourner travailler. Ils parlent ensuite des difficultés d'argent de Jacques, et de sa dépendance financière vis-à-vis de son père. Puis leur ami Marco laisse un message sur le répondeur, expliquant combien il se sent mal et demandant à se faire héberger après l'hospitalisation qu'il va devoir subir, puisque son compagnon Thierry ne veut plus le voir.
Sur le papier, Plaire, aimer et courir vite a tout pour séduire. L'idée de s'intéresser aux « années sida » par le prisme d'une trajectoire de vie personnelle n'a certes rien de révolutionnaire, et depuis Les nuits fauves il est difficile de rivaliser, mais on a de quoi avoir avec un tel sujet la puce à l'oreille. D'autant plus que ce Jacques n'est pas militant pour un sou – le bref passage où est évoqué Act up met d'ailleurs clairement les choses à plat. On se trouve donc devant, non pas un anti 120 battements par minutes, mais plutôt une réalité alternative de ces années là. Tous les homosexuels n'étaient pas dans la lutte associative, ici on a affaire à un homme pour qui être dans la vie c'est profiter de ses derniers instants. Et Christophe Honoré de ne jamais porter aucun regard moralisateur sur ses personnages. La caméra les suit et tente de voler des instants de vie, de façon assez belle d'ailleurs, telle cette scène poétique où Jacques conduit en écoutant Les gens qui doutent d'Anne Sylvestre.
Malheureusement, la forme de Plaire, aimer et courir vite se prend un peu les pieds dans le tapis. Christophe Honoré se souvient un peu trop, avec ce film, combien il aime la Nouvelle vague et la culture des années 1960 et 1970, et il truffe son film de références. Dès le début, et ce n'est pas une première, le générique du film présente des noms de famille, sans prénom, et en modifiant leur profession. On peut voir ça comme un clin d’œil malicieux à Jean-Luc Godard mais c'est tout de même assez pesant. Tout aussi lourdes sont les références explicitement égrenées durant le long-métrage : poster du Querelle de Rainer Werner Fassbinder, citation de Bernard-Marie Koltès, gros plan sur la tombe de François Truffaut au Cimetière de Montmartre. Sans compter les longs monologues théoriques qui émaillent le film, et qui le plombent complètement, empêchant le surgissement d'une quelconque émotion : c'est comme si cet intellectualisme de façade était une défense pour le cinéaste.
De leur côté, les interprètes de Plaire, aimer et courir vite sont assez remarquables. Vincent Lacoste est particulièrement à l'aise dans ce rôle de jeune premier qu'on ne cesse de lui attribuer, tandis que Pierre Deladonchamps prouve une fois de plus qu'il sait utiliser toute une palette d'émotions afin de complexifier un personnage peu aimable au premier abord mais que l'on va finir par comprendre. C'est ce qui caractérise le film, et qui est à mettre à son crédit : personne n'est foncièrement appréciable, on est face à une galerie d'être humains, fragiles et compliqués, qui ne font rien pour qu'on les aime, et c'est tant mieux. Les situations ne sont pas sur-expliquées : par exemple, Jacques a un fils avec sa meilleure amie, malicieusement incarnée par Sophie Letourneur, pas besoin d'en savoir davantage. Une fois de plus, tout ceci nous donne furieusement envie d'aimer le film de Christophe Honoré, mais faudrait-il qu'il se prête un peu au jeu, et qu'il se départisse de ses afféteries ultra référencées.