Joker (2019) Todd Phillips
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Joker (2019) Todd Phillips
L’homme derrière le maquillage
On n’attendait pas vraiment Todd Philips derrière la caméra de Joker. Les qualificatifs que l’on retrouve le plus souvent concernant les films précédents de ce réalisateur sont plutôt « déjantés », « délirants ». Que l’on considère Starsky et Hutch ou les variations autour de Very Bad Trip, sans compter sa participation au scénario de Borat, leçons culturelles sur l'Amérique au profit glorieuse nation Kazakhstan, on ne peut pas dire que sa qualité première soit la sobriété ni la finesse. Peut-être est-ce dû à sa collaboration avec Scott Silver, coscénariste de 8 mile et de Fighter, le fait est que Joker se révèle complexe et plutôt adroit. Il se concentre sur une période de la vie du personnage de DC Comics, que l’on peut considérer comme le « nemesis » de Batman, au moment justement où il sombre définitivement « du côté obscur de la force ». Les bandes dessinées n’avaient jamais évoqué l’histoire du personnage, c’est maintenant chose faite.
Début
Dans la ville de Gotham City, face à son miroir, Arthur Fleck façonne son maquillage de clown, et va bientôt se retrouver dans la rue avec une pancarte publicitaire. Un groupe d’adolescents le bouscule et lui vole son outil de travail. Il les poursuit et se retrouve bientôt coincé dans une impasse où il se fait rouer de coups. Un peu plus tard, il se retrouve dans un bus derrière un petit garçon qui le regarde et à qui il fait rire en faisant des grimaces. La mère le réprimande et il ne trouve de parade que dans un fou rire nerveux, provoqué par une maladie mentale qui l’empêche de contrôler ce genre de comportement. Puis il se retrouve en face d’une assistante sociale, qui lui demande comment se passent ses journées au travail, s’il se sent bien et s’il a réfléchi aux raisons pour lesquels il a récemment été enfermé dans un hôpital psychiatrique. Rentré chez lui, Arthur retrouve sa mère devant la télévision et lui sert son repas.
Analyse
On ne peut pas regarder Joker avec un œil vierge, et c’est ce qui fait la force du long-métrage. Dès les premières images, le spectateur sait qu’il a en face de lui la figure maléfique légendaire qui a façonné l’univers de Batman. Le réalisateur et son scénariste ne s’en cachent pas, ils souhaitaient si ce n’est humaniser le personnage, tout du moins sonder les motivations potentielles qui l’ont conduit à devenir cette icône sombre et déjantée. Et l’histoire se déploie de façon très habile, en crescendo de violence dans un univers urbain sous tension. Aucune fatalité n’entre en ligne de compte, ce sont simplement des successions de revers de fortune dans un contexte de lutte sociale très marqué, où il ne manquait qu’une étincelle pour allumer le feu des protestations. Et c’est d’ailleurs intéressant de noter combien hasardeux est l’incident qui va finalement entraîner ce déferlement de violence, et combien cette violence est collective plus qu’individuelle.
Ainsi avec Joker c’est le mythe du méchant démonique par essence et isolé par nature qui s’effrite un peu. Un solide déterminisme serait à l’œuvre dans la construction de l’ennemi intime de Batman. C’est d’ailleurs assez révélateur, et assez malin, de constater que les parents de Bruce Wayne ne sont pas tués par Arthur Fleck mais par un illuminé dont la colère a certes été envenimée par le mouvement lancé malgré lui par celui-ci, mais pas que. Toutefois, le scénario du film n’est pas dépourvu de lourdeurs, justement dans sa volonté de tout expliquer. Ainsi les quelques séquences oniriques, assez bien ficelées, auraient gagnées à ne pas être explicitement décortiquées a posteriori. On a ainsi l’impression que les auteurs n’ont pas assez confiance en le spectateur. On ressent la même chose en entendant la bande son, beaucoup trop imposante, qui insiste lourdement sur les moments clés du récit et rend inutilement emphatiques les moments d’émotions.
Si à la Mostra de Venise, Joker a obtenu un Lion d’or que l’on peut considérer assez justifié, la perle du film, c’est indubitablement Joaquin Phoenix. On ne peut que valider le casting du personnage, au vu de sa démarche dégingandée et de sa physionomie. Il fournit ici une performance à l’opposé de celles qu’il a pu livrer dans les films de James Gray et parvient à rendre attachant ce personnage de déclassé que les événements tirent vers le bas, amplifiant sa démence. Ses petits pas de danse rappellent bien sûr ceux de Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton, et l’on y voit une filiation, y compris dans l’inscription temporelle du film. Car c’est une des surprises que de nous voir transportés en 1981, l’ancrage étant indiqué par deux affiches de films, l’une étant Blow out, de Brian de Palma, et l’autre, plus étonnante, La Grande Zorro (Zorro, The Gay Blade en version originale). On se retrouve donc quelques années avant la sortie du premier volet de la trilogie qui a relancé le mythe.