L’invraisemblable vérité (1956) Fritz Lang
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L’invraisemblable vérité (1956) Fritz Lang
L’implacable mécanique du thriller
La période américaine de Fritz Lang se clôt avec L’invraisemblable vérité, ce qui, compte tenu des thématiques abordées dans le film, n’est sans doute pas anodin. Depuis une dizaine d’années, le réalisateur, né en Autriche à l’aube du XXe siècle, a réalisé de nombreux films noirs. Il choisit ici comme interprètes principaux Dana Andrews, avec qui il vient de tourner La cinquième victime, et Joan Fontaine, la sœur de Olivia de Haviland qui avait, entre autres, au début des années 1940, marqué les esprits dans les premiers films américains d’Alfred Hitchcock. Pour tous les eux, le film sera a posteriori considéré comme une de leurs dernières prestations notables, le premier luttant notamment avec l’alcoolisme et la seconde tournant de moins en moins de films durant la décennie suivante. On peut considérer le long-métrage comme une commande, le producteur Bert E. Friedlob soumettant à Fritz Lang le scénario écrit par Douglas Morrow, celui-ci ne s’étant d’ailleurs jamais bien entendu avec le réalisateur durant sa préparation.
Tom Garrett et son futur beau-père Austin Spencer assistent à l’exécution d’un homme condamné à la peine de mort. Spencer, propriétaire d’un journal célèbre, déjeune avec le jeune homme par la suite et lui explique son intime conviction que cette peine n’est pas juste. Le procureur Roy Thompson, qui a contribué à la sentence finale du condamné, ce qui aux yeux de Spencer attise son ambition de devenir gouverneur, vient les saluer. Sûr de lui, il ne doute pas une seconde de la culpabilité de l’homme qui vient de mourir, ce qui, selon les lois de leur État, ne pouvait que le mener à la chaise électrique. Spencer objecte qu’aucun témoignage direct ne l’avait incriminé mais Thompson lui rétorque que le jury en a décidé autrement. Son opposant lui fait remarquer que les arguments d’un procureur peuvent parfois persuader des jurés de livrer un jugement erroné. Sur ces entrefaits, Susan, la fiancée de Garrett, vient le retrouver et lui propose de passer du bon temps.
Le scénario de L’invraisemblable vérité s’avère d’une rare maîtrise. On ne peut que saluer la sécheresse dont fait preuve Fritz Lang, qui, dès les premières scènes du film et jusqu’à ses dernières, ne change pas de cap. Rien n’est superflu dans ce que nous montre le réalisateur, aucun détail inutile ne vient troubler la narration. Le spectateur est tout de suite embarqué dans l’une des thématiques principale, celle de la peine capitale, lors de la scène inaugurale et quitte le film avec un autre axe central du film, celui de la culpabilité. Quant à la forme policière qui sert d’architecture au long-métrage, elle est parfaitement maîtrisée. Les faits s’enchaînent de façon implacable, la mécanique qu’utilise le metteur en scène, aguerri au genre, est tout bonnement impressionnante. Les révélations s’accumulent tout naturellement les unes après les autres, et que dire de la révélation finale, qui remet en cause l’ensemble de ce qu’on a vu sans que cela ne change les sentiments que l’on éprouve.
Il faut dire que Fritz Lang, qui a déjà, lors du tournage de L’invraisemblable vérité, une longue carrière derrière lui, fait ici preuve d’une maîtrise incontestable de la mise en scène. Elle a pu paraître pour absente par de nombreux critiques, et pourtant sa discrétion n’en demeure pas moins un de ses atouts indéniables. Par petites touches, le réalisateur permet au spectateur attentif de se faire sa propre opinion, qu’il pourra moduler au gré des péripéties, construisant pas à pas pour ses personnages un étau inextricable. Ceux-ci sont interprétés impeccablement grâce à une direction d’acteurs au cordeau. Dana Andrews utilise en particulier délicatement toute une palette d’émotions et permet au spectateur de s’identifier à un personnage complexe. C’est assez jubilatoire de suivre pas à pas le jeu dangereux qu’il met en place avec son beau-père, le facétieux Sidney Blackmer, que l’on retrouvera bien des années plus tard en voisin encombrant dans Rosemary’s baby.
Bien entendu on retrouve dans L’invraisemblable vérité toutes les thématique que Fritz Lang affectionne depuis ses débuts. À commencer par la culpabilité, axe central du film, sur lequel le réalisateur ne cessera de tourner, jusqu’à la conclusion étonnante. La figure du faux coupable, et de l’innocence bafouée, fait le sel d’autant de films d’Alfred Hitchcock, de La mort aux trousses au Faux coupable, que de Fritz Lang, que l’on pense à Furie ou à J’ai le droit de vivre. Point commun avec celui-ci, la place accordée au débat sur la peine de mort, qui intervient dès la première scène. Lang se permet ici de remettre en cause sans ambage cette institution américaine, qui certes, fait aussi débat outre-Atlantique, mais y est par conséquent loin de faire l’unanimité. Son angle d’attaque est d’ailleurs périlleux, et les nombreux rebondissements du film mettent audacieusement en péril sa théorie. C’est que Fritz Lang n’est pas homme de consensus, et sa carrière l’a maintes fois prouvé, il manie parfaitement la zone grise.