Wendy (2021) Benh Zeitlin
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Wendy (2021) Benh Zeitlin
L'impossibilité d’une île
On n’avait plus vraiment de nouvelles de Benh Zeitlin depuis 2012 et le succès des Bêtes du sud sauvage. Grand prix du jury au Festival du film de Sundance, le film avait reçu la Caméra d’or du Festival de Cannes et obtenu quatre nominations aux oscars. Ce succès inattendu a poussé son réalisateur à développer un projet qu’il portait en lui depuis plusieurs années. Avec sa sœur Eliza, ils écrivent le scénario de Wendy, une variation autour du mythe de Peter Pan. Le personnage créé par J. M. Barrie, au-delà d’inspirer Disney pour son film d’animation, est déjà apparu dans quelques long-métrages. On se souvient du Hook de Steven Spielberg, où les personnages ont vieilli, avec Julia Roberts en fée Clochette et Maggie Smith en Wendy. Puis dans les années 2000 sortent une adaptation du roman Peter et Wendy puis une libre variation dirigée par Joe Wright. La longue aventure de la recherche des lieux de tournage et des castings a conduit le réalisateur a prendre son temps avant de sortir son deuxième film.
Dans un restaurant de Louisiane situé à côté d’une voie ferrée, la jeune Wendy est aux côtés de sa mère, qui prépare à manger. Plusieurs enfants sont assis au comptoir tandis que les adultes anticipent les métiers qu’ils feront quand ils seront plus grands. Quand Thomas entend qu’on lui prédit une carrière de nettoyeur, il se vexe et s’en va. Wendy, tout en cassant des œufs au-dessus d’une poêle, jette un regard à l’extérieur et vois Thomas prendre un train en marche et y monter sur le toit, rejoignant un autre garçon. Quelques années plus tard, Wendy aide toujours sa mère en cuisine tandis qu’une affichette informe que Thomas est porté disparu. Un soir, dans leur chambre située au-dessus du restaurant, Wendy réveille ses deux frères jumeaux, James et Douglas, car elle a de nouveau vu le garçon sur le train. Attirée comme un aimant, elle les motive à sauter avec elle : le train passe si proche de leur fenêtre qu’il ne leur faudrait pas grand-chose pour atteindre le toit du véhicule.
On retrouve dans Wendy plusieurs des principaux personnages qui apparaissent dans l’œuvre de J. M. Barrie, modernisés. Les thématiques développées par le film résonnent à ce titre assez fortement dans l’actualité contemporaine. L’héroïne du long-métrage est donc une petite fille, cette fameuse Wendy qui dans la plupart des adaptations se contentait grossièrement de lire sagement des histoires à ses frères puis d’être mère. Ici son caractère est trempé, et elle mène son petit monde à la baguette. Quant à Peter, il est noir ; compte tenu du fait que l’intrigue a été déplacée en Louisiane et que le tournage s’est déroulé dans des îles des Caraïbes, cela peut se comprendre. Autre signe des temps, la famille de la petite fille est pauvre, et le refus de grandir des enfants est partiellement lié aux difficultés qu’ils ont à se projeter dans ce milieu. Si on ajoute à cela la disparition de personnages féériques comme la fée Clochette, cela donne une idée du degré de réalisme apporté par le film.
Le lyrisme que déploie Wendy est toutefois assez saisissant. Les décors naturels dans lesquels le film a été tourné apporte une dimension authentique tout à fait surprenante. La nature à la fois hostile et merveilleuse dans laquelle les enfants se retrouvent au sein de ce pays imaginaire tranche nettement avec les lieux naturalistes du début, qui ancrent les personnages dans un milieu peu amène. L’île qui les accueille regorge de paysages luxuriant tout autant que désolants, et la photographie qui les enveloppe ainsi que le grain tout particulier donné par le tournage en 16 millimètres apportent un cachet tout particulier à l’image. La présence de l’élément aquatique et l’irruption du personnage de la Mère donnent de la profondeur aux thématiques fabuleuses et enfantines qui sont développées. On assiste véritablement à la naissance d’un univers tout autant enchanteur que dangereux, renforcés par ces plans filmés à hauteur d’enfants.
Ce que nous raconte Wendy, c’est donc cette perte de l’innocence et ce passage à l’âge adulte, tant redouté par le personnage de Peter mais que chacune et chacun savent inéluctable. La thématique de la vieillesse est joliment mise en image au travers de ce garçon qui devient Capitaine crochet, tandis que la mort plane sans vraiment dire son nom au travers de tout le film. L’irruption de cette bande d’adultes qui ne rêvent que d’une chose, redevenir enfants, en rajoute, de façon certes redondante et pas très subtile, enfermant l’œuvre dans sa thématique principale. Le film ne sait d’ailleurs sur quel pied danser, mettant en valeur les jeux des enfants tout en les mettant en garde des dangers potentiels, sublimant la nature et l’environnement paradisiaque tout en nous faisant comprendre le caractère illusoire de cet endroit. L’amertume est peut-être le sentiment qui prévaut au final, le retour à la réalité semblant une nécessité à laquelle il faut bien se résoudre, bon an mal an.