Été 85 (2020) François Ozon
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Été 85 (2020) François Ozon
À l’ombre des jeunes hommes en fleur
Quand François Ozon lit La danse du coucou, il a 17 ans, soit l’âge des deux personnages principaux d’Été 85. Le livre est sorti au début des années 1980 mais son auteur, Aidan Chambers, voulait l’écrire depuis de nombreuses années. C’est un fait divers lu dans la presse qui lui donna envie au milieu des années 1960, de raconter cette histoire dont les protagonistes sont un couple de garçons. Le contexte de l’époque l’empêche alors de poursuivre la rédaction, et ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard, alors qu’il a écrit son premier roman, Breaktime, qu’il parvient à terminer le roman, dont le titre original est Dance on my grave. Le roman a eu un impact sur de nombreux adolescents de l’époque, en grande partie car il met en scène une relation homosexuelle, d’une part sans ce que cela ne soit un enjeu narratif en tant que tel, mais aussi parce que c’est un des rares exemples où, à l’époque, une telle relation ne soit pas tragique. Souhaitant l’adapter depuis le début de sa carrière, Ozon a finalement attendu plus de trente ans pour parvenir à le réaliser.
En plein été, le long d’une promenade en bord de mer, Alexis rencontre son ami Chris et ils discutent de ce qu’ils vont faire à la rentrée. Le premier intègre une première littéraire tandis que le second va débuter un cursus technologique. Alexis propose à son ami d’aller faire un tour en bateau, mais ce dernier refuse en lui disant qu’il a un rendez-vous avec une jeune fille, qui le rejoint. Chris lui propose de lui prêter son dériveur, et Alexis accepte à contrecœur : il n’a pas envie de rester seul. Tandis qu’il s’est endormi en pleine mer, une tempête se lève et il n’a pas le temps de redresser la barre avant que le bateau ne chavire. Alors qu’il appelle à l’aide, un jeune homme nommé David vient le secourir et parvient à le ramener au port. Il lui propose de venir dans sa maison, plus proche, pour qu’il se sèche. Sa mère les accueille chaleureusement, proposant à Alexis, qu’elle surnomme Alex, de prendre un bain à l’étage. Elle le brutalise un peu pour le déshabiller, le complimentant sur son physique avantageux. Alex se détend quand David vient le rejoindre, lui proposant qu’ils se retrouvent le soir même pour récupérer ses habits.
La mécanique du souvenir est au cœur même d’Été 85. L’histoire nous est racontée en voix off, par un des personnages, qui se souvient des événements qui ont eu lieu, et nous avertit même que les faits relatés ne sont donc pas forcément complètement fidèles à la réalité. Peut-être est-ce une manière pour François Ozon de nous dire que la reconstitution des années 1980 qu’il dépeint dans son film n’est qu’une vision de sa propre mémoire. Lui qui a vécu cette époque tient cependant à retranscrire fidèlement cette ambiance. La bande-originale est à cet titre essentielle, et la chanson qui accompagne le générique de début donne le ton, puisqu’il s’agit d’In between days, le tube des Cures qui passait à l’époque. Par la suite, une flopée de mélodie que l’on a pu entendre entre 1984 et 1985 nous seront proposés, d'un des succès de Jeanne Mas à celui de Raf en passant par le Cruel summer de Bananarama. Visuellement, la caméra en super 16 utilisée par le réalisateur apporte un côté vintage qui tranche avec les effets numériques dont nous avons l’habitude, et les tenus arborées par les protagonistes rappelleront des souvenirs à celles et ceux qui ont vécu cette période.
Une des scènes clés d’Été 85 marque en particulier les esprits, où David pose un walkman sur les oreilles d’Alex pour lui faire écouter une chanson qui tranche avec l’environnement sonore des deux garçons. Cette référence à La boum, sorti en 1980, est particulièrement réussie alors que sur le papier cette audace un peu kitsch n’était franchement pas gagnée. Et pourtant ça tombe sous le sens : tout homosexuel ayant grandit dans ces années a secrètement rêvé de cette réécriture queer d’une scène aussi culte. C’est un procédé qui fait la patte de François Ozon, un réalisateur dont la filmographie éclectique nous enseigne qui n’a pas peur de l’outrance. On retrouve cette dimension quasiment grotesque dans la caractérisation de certains des personnages du film. Ainsi a-t-on du mal à croire en la mère de David, exubérante et incestueuse, et les dialogues de sa première scène avec Alex frisent le ridicule. Chez tout autre réalisateur, ces détails ne passeraient pas, et les détracteurs d’Ozon ne lui passeront sans doute pas ces quasi-fautes de goût, mais cela fait complètement partie de son univers.
On retrouve d’ailleurs dans Été 85 de nombreuses obsessions de François Ozon, dont par exemple la thématique du corps. On retrouve dans de nombreux plans des garçons torses nus, et a saison du film s’y prête complètement : ils sont en vacances au soleil dans une station balnéaire. Mais le réalisateur va plus loin, n’hésitant pas à cadrer les fesses des protagonistes, en particulier celles, non déplaisantes, de Félix Lefebvre. Inutile de dire que son regard n’est jamais concupiscent, et ces scènes ne sont pas inutiles. A minima pourrait-on arguer qu’il a besoin de mettre en image la dimension charnelle de la relation entre les adolescents, mais l’on pourrait-même y voir une autre réappropriation homosexuelle, celle de la fameuse scène du Mépris où Brigitte Bardot est allongée sur son lit. À ces corps d’éphèbes, qui symbolisent la devise « plaire, aimer et courir vite », la caméra oppose des corps moins vigoureux, ceux des adultes du film, fatigués et usés. Une façon de plus de mettre un contraste et de souligner l’urgence du désir, la fraîcheur d’une époque de la vie où l’on croit que tout est éternel.