It must be heaven (2019) Elia Suleiman
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It must be heaven (2019) Elia Suleiman
Oh, Elia, le cinéma est un jeu pour toi
À l’image du personnage qu’il incarne dans It must be heaven, Elia Sleiman n’est pas un cinéaste pressé. Né à Nazareth en 1960, il habite à New-York lorsque l'Organisation de Libération de la Palestine déclare l'indépendance de l'État palestinien. Ce n’est qu’à plus de 35 ans qu’il réalise son premier long-métrage, Chronique d’une disparition, qui obtint le Prix du Jury au Festival de Venise. Six ans plus tard, Intervention divine lui fait accéder au palmarès du Festival de Cannes, toujours avec un Prix du Jury présidé par David Lynch. C’est à l’occasion de ce film qu’il rencontre sa future épouse, la libanaise Yasmine Hamdan, qui participera à la bande originale de ses films, tout comme à celle d’Only lovers left alive. Il revient à la mise en scène en 2009 pour Le temps qu’il reste, rentré bredouille du Festival de Cannes, puis revient dans ce même festival dix ans plus tard pour y décrocher la Mention spéciale du Jury avec ce film.
Le début
Un Vendredi Saint, à Nazareth, un prêtre et ses disciples, chrétiens d’Orient, se présentent devant une église fermée. Selon la tradition, l’ecclésiastique frappe à la porte plusieurs fois, demandant une intervention divine afin d’accéder à l’intérieur de l’enceinte. Une voix leur en parvient, annonçant clairement que l’édifice ne leur sera pas ouvert. Après plusieurs tentative, l’homme d’Église parvient à l’accès de service, qu’il force en demandant pardon à Dieu pour ce blasphème. Puis les pèlerins entendent des bruits de bagarre avant que le prêtre ne leur ouvre la porte. Pendant ce temps, le réalisateur Elia Suleiman voit de son balcon son voisin lui voler des citrons : il lui annonce que c’est son droit d’accéder au jardin pourtant privé d’Elia. Le réalisateur se dirige vers le cimetière, puis à son retour croise un gang de jeunes hommes avec des battes. Il va ensuite dans un restaurant où en face de lui se trouvent deux frères et leur sœur.
Analyse
Décerner à It must be heaven la Mention spéciale du Jury dans le cadre du Festival de Cannes semble assez logique, tant le prix a pour but de récompenser un film pour son originalité et pour son style. Or les long-métrages que nous propose Elia Suleiman, et celui-ci ne déroge aucunement à la règle, peuvent être considérés comme atypiques dans le paysage cinématographique actuel. À la manière des comédies muettes du début du cinématographe, il nous propose une série de sketchs burlesques et silencieux qui tournent autour de son personnage à la tête clownesque et au regard mutin. On ne peut s’empêcher de penser aux œuvres de Buster Keaton, dont Suleiman semble assumer l’héritage de douceur et de poésie, ou bien à celles des Marx Brothers, avec qui il partage le sens du décalage et de l’ironie. Ainsi un humour très fin, très léger, se dégage des successions de saynètes qui, au bout du compte, forment un ensemble cohérent, à la fois sur le fond et sur la forme.
Car le parti-pris stylistique de It must be heaven est assez fort, presque radical. On n’ose y compter le nombre de plans fixes mettant en scène un personnage au milieu du cadre. À l’instar de Wes Anderson, Elia Suleiman semble apprécier la symétrie, et on ne peut nier que cette élégance accentue l’impression de sérénité dans laquelle baigne étonnement le film. À la beauté des paysages palestiniens qui nous sont présentés se succèdent des images décalées d’un Paris vide au milieu du mois du Juillet. Un sentiment d’onirisme flotte dans ces successions de plans, où l’on peut voir Suleiman se faire plaisir à contempler des jeunes femmes à la terrasse d’un café de la rue Montorgueuil, ou bien le ballet des chaises déplacées dans le Jardin du Luxembourg. Au passage, le réalisateur palestinien se paye le luxe d’une scène un peu mordante avec le producteur Vincent Maraval, puis à New-York s’offre le cameo amical de Gael Garcia Bernal.
Ces deux scènes, où le réalisateur tente de convaincre des producteurs internationaux de financer It must be heaven, sont centrales dans le discours que tente de faire passer Elia Suleiman. Il nous offre ainsi sa vision du Monde, où l’identité nationale prime souvent sur l’identité artistique pour monter un film d’auteur. Cet état d’esprit renforce le sentiment de mal-être d’un personnage en exil plus ou moins forcé, qui s’interroge sur ce que c’est que d’avoir ou pas un pays, une identité. En sous-texte nous est proposé un discours pro-palestinien, sans qu’il soit militant, tout du moins de façon binaire. Ainsi, si ce public qui applaudit à tout rompre des personnalités représentatives sont quasiment montrées de façon aussi absurdes que ces légionnaires de piétons américains avec leurs attirails de fusils. Suleiman met ainsi en image, sans doute naïvement mais c’est efficace, l’inquiétante étrangeté de ce Monde où l’escalade sécuritaire menace un peu partout.