Falling (2021) Viggo Mortensen
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Falling (2021) Viggo Mortensen
Mon grand-père, ce salaud
S’il a commencé sa carrière au cinéma dans les années 1980, Viggo Mortensen a connu les faveurs du grand public grâce à son rôle d’Aragorn dans la trilogie adaptée des romans de J. R. R. Tolkien, Le seigneur des anneaux. Il a par la suite poursuivi une carrière d’acteur éclectique, nouant en particulier une fructueuse relation professionnelle avec David Cronenberg. L’auteur, qui a touché à la photographie, à la peinture et à la poésie, s’essaye aussi à la mise en scène avec Falling. Après la mort de sa mère, il s’est rappelé de nombreux souvenirs d’enfance qui ont motivé son désir d’écrire un scénario sur les relations familiales. Si les situations décrites dans le film sont fictives, le réalisateur s’est inspiré de plusieurs éléments de sa vie privée, en particulier avec le personnage de ce père autoritaire et atteint de démence à la fin de sa vie. Les difficultés à financer son film ont ensuite poussé Mortensen à jouer le rôle principal, attribuant au vétéran Lance Henriksen le rôle du patriarche.
Dans un avion vers la Californie, John accompagne son père Willis, qui perd la mémoire. Désorienté, il a des flash-backs épars tandis que son fils le conduit aux toilettes. Un souvenir lui revient en particulier, quand il était allé à la chasse aux canards avec son enfant, alors âgé de cinq ou six ans. Ce jour-là, John en avait tué un, qu'il avait ramené à la maison, fier de lui et, après l'avoir lavé en le prenant dans son bain, il avait dormi à ses côtés. Le lendemain matin, il était allé retrouver sa mère qui déplumait le canard et lui avait proposée son aide. Quand Willis est alors rentré, il s'était étonné de les voir debout aussi tôt ; son épouse lui répondit que quelqu'un devait bien s'occuper du foyer pendant qu’il n’était pas là. Arrivés à l'aéroport de destination, Willis dit à son fils qu'il a oublié ses lunettes dans l'avion. John lui demande de l'attendre sur son fauteuil roulant tandis qu'il va les chercher. Quand il revient, la chaise est vide et John s'inquiète, demandant l'aide de la police pour le retrouver.
Le temps est la principale affaire de Falling, et cela se concrétise à la fois dans son scénario et dans sa mise en scène. La chronologie du film est multiple, nous embarquant du milieu des années 1960 à la fin des années 2000. Les souvenirs sont des éléments clés, à partir desquels la narration se construit, à la fois pour les scènes en tant que telles, où la temporalité délimite la passage d’une séquence à une autre, qu’à l’intérieur d’elles-mêmes, où différents jalons temporels surgissent par l’intermédiaire de certains dialogues. La mise en scène intègre ces glissements temporels par des fondus enchaînés parfois emmêlés destinés à mettre en image la confusion du personnage principal. Car le pater familias, atteint de démence, ne distingue la plupart du temps plus ce qui relève du présent ou du passé. Il convoque en particulier ses deux épouses décédées, confondant les moments passés avec l’une ou avec l’autre. Son rapport au temps ainsi que ses rares souvenirs vont ainsi guider le tempo du film.
Ce personnage au tempérament tempétueux est la pierre angulaire de la relation père-fils au cœur de Fallen. Viggo Mortensen n’est d’ailleurs pas tendre avec cette figure archétypale de mâle blanc dominant. Campant sur des idées d’un autre temps, il représente une Amérique profonde, terrienne et conservatrice, ces fameux rednecks. Seule la maladie dont est victime ce père qui n’a jamais manifesté d’empathie ni même d’affection envers ses proches empêche son fils de le contredire ou de lui tenir tête, mis à part lors d’une scène forte. Les différents flash-backs nous permettent de comprendre comment ce garçon, puis ce jeune homme, s’est construit, cherchant autant l’approbation paternelle que rejetant les valeurs que celui-ci tente de lui inculquer. Sans aucune insistance dans la psychologie des personnages, le réalisateur parvient par de petites touches discrètes à nous faire palper la tension familiale latente tout en brossant un portrait actuel des États-Unis.
Ainsi la famille atypique que nous présente Falling peut paraître comme une vision condensée de la réalité. Le grand-père est facho sur les bords, le fils homosexuel est marié à un asiatique avec qui ils ont adopté une fille hispanique et la fille a deux adolescents un peu gothiques, un peu rebelles. Si c’est un peu trop appuyé, cela occasionne une séquence mémorable de déjeuner en famille où les tensions larvées explosent petit à petit et où les personnalités se révèlent. Viggo Mortensen s’appuie sur un excellent casting, à la tête duquel Lance Henriksen se montre impressionnant, parvenant à donner une touche d’humanité à un personnage odieux. La magnifique Laura Linney campe une femme au passé qu’on devine trouble sans jamais jouer de la surenchère, laissant les rôles principaux briller tout en les étayant de sa présence magnétique. Quant à Terry Chen, il incarne avec douceur et simplicité ce rôle de mari aimant supportant les railleries réactionnaires d’un beau-père acariâtre et vindicatif.