La bonne épouse (2020) Martin Provost
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La bonne épouse (2020) Martin Provost
On ne naît pas femme : on le devient
Indirectement, c’est une rencontre qui a poussé Martin Provost à réaliser La bonne épouse, en l’occurrence celle qu’il a faite avec une femme âgée. Celle-ci avait choisi de son plein gré de s’inscrire à une école ménagère dans l’immédiate après-guerre. Il a donc poussé ses investigations sur le sujet et s’est rendu compte que ce type d’institution avait perduré jusqu’au début des années 1970. Cela a fait écho à son environnement familial et à son expérience de mai 1968, quand sa mère, comme beaucoup, a pris peur en voyant l’ampleur des événements. Elle-même était une femme au foyer qui sans s’en rendre compte a sacrifié sa vie de femme. Tous ces éléments ont sans doute participé de l’engagement discret du cinéaste que Martin Provost est ensuite devenu, mettant en avant des trajectoires féminines atypiques comme celle de Séraphine Louis ou de Violette Leduc, et choisissant souvent des thématiques autour de l’émancipation féminine.
En Alsace, Paulette van der Beck, une directrice d'une école ménagère, s'apprête à accueillir ses nouvelles élèves. Assistée de sa belle-sœur Gilberte et de Sœur Marie-Thérèse, elle leur apprend tout ce qu'une épouse digne de ce nom doit faire pour tenir correctement sa maison. Le mari de Paulette lui dit qu'ils ont cette année 18 pensionnaires, un effectif qui diminue d'année en année. Avant d'accueillir les jeunes filles, Marie-Thérèse glisse à l'oreille de Paulette que l'une d'entre elles est rousse, ce qui est un mauvais présage selon elle. Le premier cours présente les sept piliers censés faire de ces demoiselles des perles du foyer : l'oubli de soi, l'abnégation, l'économie, l'hygiène, l’amabilité, la sobriété et le devoir conjugal. Gilberte pique du nez durant la présentation de sa belle-sœur, ce que ne manquent pas de remarquer des élèves légèrement dissipées et visiblement peu attentives.
Pour paraphraser le principal central enseigné dans l’école ménagère de La bonne épouse, le film semble cocher les sept enseignements d’une bonne comédie. Les personnages sont très bien campés et assez réalistes, le rythme du film est soutenu et les péripéties s’enchaînent relativement bien. Les dialogues ciselés font souvent mouche tandis que la pincée de fantaisie et de burlesque insufflée est tout à fait revigorante L’ancrage dans le réel ne nous fait pas perdre la vision d’ensemble tandis que la touche de romance contrebalance de façon harmonieuse l’humour et le décalage voulus par le réalisateur. Si Martin Provost n’est pas un habitué du genre, il parvient à mettre en scène une œuvre cohérente et sensible, qui pourrait rivaliser avec les films de la screwball comedy. Le scénario qu’il a écrit avec Séverine Werba parvient à donner à voir les différentes facettes de plusieurs femmes, avec justesse et équilibre.
Sortant initialement à point nommé juste après la Journée internationale des femmes (avant de ressortir après le confinement), La bonne épouse rend ainsi compte de façon subtile des différentes positions qu’ont pu avoir les personnes ayant vécu durant les événements de Mai 1968. La société française était alors en pleine mutation, et le film, s’il n’est ni un cours magistral ni un acte de militantisme, rend bien compte de cette situation. Le décalage y est permanent, entre les personnages de différentes générations, et au sein d’une même génération. Les différences d’âge sont bien entendu l’une des causes de l’incompréhension, et le choix de mettre en avant cette institution d’un autre temps, qui d’ailleurs ne va pas survivre à la révolution culturelle et sexuelle en cours, est tout à fait pertinent à cet égard. D’ailleurs le décalage se retrouve aussi dans l’approche sociale, où les origines et les aspirations des différentes protagonistes de l’histoire les antagonise au début pour mieux les rassembler à la fin.
La réussite de La bonne épouse tient l’équilibre que le film parvient à trouver entre comédie et romanesque. L’histoire d’amour qui nous est présenté tient complètement la route, et si l’on peut être frustré de ne pas voir développé la rivalité qui germe entre le personnage principal et sa belle-sœur, on peut comprendre que faute de temps le réalisateur n’a pas pu tout développer. Tout comme les incidents, parfois grave, qui adviennent aux jeunes filles, ne peuvent pas avoir la place qui devraient leur être due, au moins sont-ils évoqués, et leurs enjeux ne sont pas évacués. La stylisation dont fait preuve Martin Provost, avec l’aide du césarisé Guillaume Schiffman, sert complètement son propos, et concourt à l’irruption d’une émotion sincère chez le spectateur. Le casting est quant à lui sans faille, aucune des actrices ne prenant le pas sur l’autre, et la bonne dose d'humour du film est assez communicative.