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Detroit (2017) Kathryn Bigelow

Detroit (2017) Kathryn Bigelow

Published Apr 12, 2021 Updated Apr 12, 2021 Culture
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Detroit (2017) Kathryn Bigelow

L’insoutenable violence des êtres

Si elle a réalisé ses premiers films dans les années 1980, le premier grand succès de Kathryn Bigelow fut Point Break. Petit à petit à partir de là on lui confie de plus en plus de grosses productions, mais elles ne rencontrent pas leur public et il lui faudra attendre une petite vingtaine d’années avant que son travail ne soit reconnu. En 2009, elle fait émerger la figure de Jeremy Renner dans Démineurs, qui reçoit les Oscars du meilleur film et de la meilleure réalisatrice. C’est la première, et seule fois jusqu’ici, qu’une femme bénéficie d’un tel honneur. Trois ans plus tard, Zero Dark Thirty revient sur la traque d’Oussama Ben Laden puis Bigelow s’attelle, avec le scénariste de ses deux précédents longs-métrages, aux émeutes qui ont secoué la ville de Détroit en 1967. Pour réaliser Detroit, ils vont se documenter minutieusement, rencontrant de nombreux témoins de l’époque, dont Larry Reed, le leader du groupe The Dramatics, victime malheureuse d’une bavure policière qui tient une place cruciale dans le récit.

Un résumé de l’histoire des afro-américains est illustrée par des peintures de Jacob Lawrence : leur migration des États sudistes vers un Nord qui leur promettait emplois et droits civiques, la ségrégation et la pauvreté qui gagne les zones urbaines, les tensions raciales qui progressent durant les années 1960, conduisant à des révoltes dans de nombreuses villes. Détroit concentrait alors la plupart des afro-américains dans des quartiers surpeuplés où les violences policières étaient fréquentes. Pour exemple, dans un club de nuit clandestin, une fête est organisée pour le retour de l’un d’entre eux du Vietnam. La police intervient brutalement, les sommant de quitter les lieux et les esprits s’échauffent. Un des participants invective un policier, lui-même noir, et celui-ci l’emmène dans une pièce, où il feint de le violenter. À l’extérieur, les policiers se rendent compte qu’il va falloir faire sortir tout le monde par l’avant, au risque de devoir les bastonner en public.

La première demi-heure de Detroit nous entraîne dans un déluge de violences urbaines où la confusion se mêle au chaos. Caméra à l’épaule, Kathryn Bigelow croise des scènes de désordre public à des images d’archive, faisant entrer le spectateur en immersion totale. On a du mal à comprendre qui est qui et qui fait quoi, ce qui est visiblement le but attendu. L’objectif semble ici de nous faire appréhender ce sentiment d’insécurité que chacune et chacun vivait, et comment un incident pourtant quotidien a pu dégénérer. La tension était jusqu’à présent larvée, elle se déploie avec une intensité sans commune mesure, entraînant avec elles des actes de pillages alimentés par la pauvreté et la frustration. Le mélange de documents de l’époque et de scènes reconstituées confère à l’ensemble un aspect quasiment documentaire, où l’absence de prise de position laisse le spectateur juger des images qu’il a devant lui. Puis on va passer habilement de cette histoire collective à un récit plus intime.

Ainsi, au sein de ces émeutes, on se rend compte que Kathryn Bigelow nous a présenté les personnages principaux de la future intrigue de Detroit, et qui va nous tenir en haleine par la suite. Un policier raciste et violent, un musicien d’un groupe qui rêve de célébrité, un officier de sécurité qui travaille en face de l’hôte Algiers. C’est là qu’un groupe de jeunes se réfugie, ils y rencontrent deux jeunes filles et la situation dégénère très vite. Dans ce huis-clos, le collectif fait place aux trajectoires individuelles, et leurs déboires vont nous sembler palpables. La violence larvée va se déchaîner dans des scènes qui frisent l’insoutenable, et le spectateur ne sera pas épargné. Or tous ces déchaînements de brutalité sauvage ne sont pas gratuits : ils ont pour but de nous faire comprendre le sentiment d’oppression vécu par ces victimes. La complaisance n’est pas de mise, même si l’on sent que la réalisatrice maîtrise ces scènes d’une rare crudité.

On ne peut s’empêcher de penser que Detroit n’est pas arrivé sur nos écrans à ce moment-là sans raison. D’une part car 2017 symbolisait la commémoration de cet événement, qui avait fait la une de plusieurs organes de presse à l’époque et qui était petit à petit tombé dans l’oubli. La fin du film, qui retranscrit dans ses grandes lignes, de façon un peu maladroite, le procès qui a eut lui par la suite, esquisse par ailleurs les éléments insidieux qui les ont fait basculer dans une rubrique de faits divers qui ne leur rend pas hommage. En creux, les images qui s’enchaînent illustrent la systématisation de cette violence institutionnelle et symbolique ayant conduit aux mobilisations portées par le slogan Black Lives Matter. Si la mort de George Floyd a amplifié le mouvement, celui-ci existe depuis des années, tout comme les inégalités systémiques qu’il dénonce. Ainsi le casting du film, constitué d’interprètes peu connus du grand public, est-il un symbole de ces individualités qui au quotidien défendent ce message.

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