Malmkrog (2020) Cristi Puiu
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Malmkrog (2020) Cristi Puiu
Quand Dreyer rencontre Buñuel
Il faut bien avouer que le quatrième film de Cristi Puiu, Malmkrog, n’est pas son plus abordable. Le réalisateur né à Bucarest a vingt ans lors de la révolution roumaine qui aboutit à la mort de Nicolae Ceaușescu. Il fait des études d’art visuel en Suisse pour se tourner vers le cinéma. Dès son premier long-métrage, il est sélectionné au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs ; il y retourne quelques années plus tard, et La mort de Dante Lăzărescu reçoit le prix Un certain regard, puis est sélectionné en Compétition officielle avec Sieranevada. Il est considéré comme l’un des fondateurs de la Nouvelle vague roumaine, qui voit défiler sur la scène internationale Cristian Mungiu, détenteur de la Palme d’or pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, ou bien Corneliu Porumboiu, dont le film le plus récent, Les Siffleurs, était sélectionné en Compétition officielle au Festival de Cannes 2019. Ici, Puiu adapte les Trois conversations du philosophe russe Vladimir Soloviev, considéré comme un ambassadeur du dialogue œcuménique.
Dans son manoir roumain, Nikolaï, philosophe russe, invite en ce début de vingtième siècle quelques amis pour les fêtes de fin d’année. Parmi les convives se trouve Ingrida, l’épouse d’un militaire russe, qui séjourne à l’étage et dont l’état de santé n’est pas fameux. Le deuxième invité est français : Édouard est un politicien, européen convaincu. À leurs côtés, Olga, une éditrice, revendique haut et fort son orthodoxie et sa fervente foi. Enfin Madeleine, pianiste française, se fait plus discrète et tente de modérer les propos parfois véhéments qui s’échangent. Ces joutes verbales sont orchestrées par des domestiques qui leur servent à boire et à manger, sous la férule du majordome hongrois et autoritaire Istvan. Ingrida engage la conversation en louant les mérites de l’armée russe, et en soutenant que les guerres sont nécessaires et par définition mues par une juste et saine cause. Édouard n’est pas du tout d’accord avec se point de vue, il soutient qu’elle ne sont justifiées que dans des cas d’extrême urgence.
Très bavard, Malmkrog brasse énormément de sujet, et confronte la rhétorique de contradicteurs lettrés. Les personnages, à l’aube du vingtième siècle, sont les héritiers tout autant des Lumières que du cosmisme. Leurs discours éclairés sont à analysés à l’une des bouleversements politiques et sociétaux que viennent de vivre, mais aussi vont vivre, les pays européens et la Russie. Ainsi faut-il contextualiser les grandes envolées sur la paix et sur l’entraide entre les nations, à la fois au regard des récents courants nationalistes qu’ont vécu les pays européens durant le dix-neuvième siècle, mais aussi par rapport aux affrontements à venir durant le vingtième siècle, sans compter la révolution russe ayant conduit à la chute des Romanov. C’est avec ce même esprit critique qu’il faut entendre ces affrontements autour de la religion à l’orée de l’avènement des écrits psychanalytiques. Cristi Puiu se garde toutefois bien de nous éclairer sur sa position concernant l’actualité de ces idées dans notre monde contemporain.
Ce que n’a pas volé Malmkrog, c’est le prix du meilleur réalisateur qu’a reçu Cristi Puiu dans la récente section Encounters du Festival de Berlin. On peut difficilement contester l’attribution de cette récompense tant le long-métrage nous offre une mise en cène maîtrisée. Comme dans de nombreux films de la Nouvelle vague roumaine, Puiu use et abuse ici de plans séquence, très élégants et stylisés. Il effectue un travail soigné autour du cadre, jouant sur l’apparition ou pas des protagonistes à l’écran, ce qui apporte un contrepoint intéressant aux propos volubiles, et parfois abscons, qui nous sont offerts. Il se passe toujours quelque chose à l’écran, et l’arrière-plan est aussi voire plus intéressant que l’action principale. Le spectateur lassé des diatribes incessantes peut ainsi se concentrer sur le ballet des domestiques, qui nous raconte tout aussi bien les enjeux sociaux en cours. Le raffinement des décors et des costumes ne fait que confirmer la solidité d’un dispositif fastueux.
Une certaine forme d’humour, très décalé, que l’on pourrait, étonnement vu son sujet, prendre pour de la fantaisie, se dégage de Malmkrog. Régulièrement des événements inattendus se produisent, qui cassent l’ambiance survoltée des débats qui nous sont proposés. On sent la référence qu’a sans doute voulu faire Crsti Puiu : on pense énormément au Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel. Mais c’est là où le film roumain atteint ses limites, car c’est un terrain bien miné. Il ne parvient évidemment pas à égaler le maître, et l’on se demande même ce que signifient ces saupoudrages de surréalisme, qui ne veulent pas dire grand-chose. Car Puiu n’exploite absolument pas ces séquences, qui arrivent comme un cheveu sur la soupe et ne donnent lieu à aucune suite. Si sur le fond il tente avec difficulté un hommage à Carl Theodor Dreyer, avec ses discours théologiques qui manquent de l’incarnation que leur conférait le réalisateur danois, il peine à convaincre avec ces afféteries trop souvent superfétatoires et ce maniérisme qui se regarde un peu trop.