La fièvre de Petrov (2021) Kirill Serebrennikov
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La fièvre de Petrov (2021) Kirill Serebrennikov
Fantaisie en mode mineur
Durant sa carrière, Kirill Serebrennikov a mis en scène de nombreuses pièces de théâtre, tout en réalisant des séries et des long-métrages. Il a du reste été directeur du Théâtre dramatique de Moscou, rebaptisé Centre-Gogol quand il était en place. C’est lors de ces fonctions qu’il a été placé sous mandat d’arrêt, et qu’il cumule les assignations à résidence, dont les motifs son de son avis, et de celui de beaucoup, complètement injustifiés. Ses déboires ainsi que ses prises de positions politiques et sociétales lui valent d’ailleurs le soutien de nombreux artistes à travers le Monde. Le projet d’adaptation de La fièvre de Petrov lui a été proposé par son producteur, qui venait d’acquérir les droits du roman d’Alexeï Salnikov, Les Petrov, la grippe, etc. Au même moment, le réalisateur russe était en train d’en préparer une version scénique, qui fut mise en scène par Anton Fiodorov. Au final, le film sera sélection au Festival de Cannes, d’où il sortira bredouille mais avec un bouche-à-oreille favorable.
Dans un bus, Petrov tousse, visiblement fiévreux. Autour de lui, une contrôleuse habillée en Fille des Neiges vérifie que tout le monde a payé son billet. Des passagers discutent politique, assurant que tous les dirigeants sont pourris et qu'il faudrait les supprimer. Soudain un ami de Petrov le hèle de l’extérieur et lui demande de descendre. Il lui tend un fusil et lui dit de l'armer, rejoignant un groupe de gens. Puis d'un camion descendent plusieurs personnes en costumes et en robes du soir, qu'ils exécutent sommairement. Petrov se réveille dans le bus, où un vieil homme s'adresse à une fille de neuf ans, lui assurant qu'en Inde elle serait déjà mariée et aurait trompé son mari. Puis il profère des généralités désobligeantes envers les femmes, au vu et au su de tout le monde. Las de ses incivilités, Petrov le prend tout d’un coup par le col et le tabasse. Puis un passager entre dans le bus, demandant à lui parler : il s’agit de son ami Igor, qui l’entraîne dans sa voiture.
On peut s'attendre à tout en regardant La fièvre de Petrov. Une bibliothécaire apparemment calme se transforme, quand elle se sent agressée ou qu’elle assiste à des injustices manifestes, en violente vengeresse. Une jeune femme bien sous tous rapports se met tout à coup à voir les hommes nus. Un mécanicien embrasse goulûment son collègue, après une douche au jet d’eau sensuelle. Sans oublier un dentier en action, un suicide assisté peu banal, un moribond qui s’échappe de son cercueil ou des décors qui se défont au gré de l'action. Autant dire que Kirill Serebrennikov prend un malin plaisir à déconstruire les schémas narratifs traditionnels, et à ne pas suivre de ligne directrice visiblement très claire. Peut-être souhaite-t-il par ce biais nous signifier qu'il se moque des traditions et des normes, en particulier celles qui sont en vigueur dans son pays. En tout cas l’expérience pour le spectateur est assez inédite, en tout cas faut-il se laisser entraîner librement.
Car si le lieu où se déroule l’action n’est pas clairement identifié pour quelqu’un ne connaissant pas le pays, mis à part la mention d’un village pour l’un de ses segments, La fièvre de Petrov est solidement ancré dans cette Russie où est assigné à résidence le réalisateur. Il souhaitait d’ailleurs y inclure de nombreux souvenirs de son enfance, ce qui apporte une couleur locale et folklorique très marquée. Après, que ce soit une projection de notre part ou non, il est difficile de faire abstraction du statut du metteur en scène quand les thématiques abordées, toujours en sous-texte, sont subversives. Homosexualité, place de la femme, et de la mère de famille, politique ou misère se mélangent sans faire du film un brûlot. L'âme Russe, comme il est coutume de dire, est tout autant visible dans la forme du long-métrage, où l'excentricité et la démesure sont de mise. La vodka coule à flot, comme de bien entendu, et les langues se délient facilement. De là à parler de délire, on peut, d'un regard extérieur, se poser la question.
En effet La fièvre de Petrov est avant tout un exercice de style. Kirill Serebrennikov s'en donne à cœur joie, multipliant les points de vue et mélangeant les espaces temporels. Du reste le titre du film l’indique, le personnage principal est fiévreux et nous allons suivre l’ensemble de ses délires. Ainsi on alterne des scènes de la vie quotidienne, plus ou moins réalistes, avec des souvenirs de son enfance, en particulier un qui visiblement l’obsède, et des séquences complètement fantasmées. C’est bien joli, et c’est mis en scène de façon magistrale, mais l’on sort du film en se demandant ce que l’on pourra en garder. Peut-être pas grand-chose sur le fond, sinon on retiendra les prestations des interprètes, toutes et tous d’une grande qualité. Ainsi, sans réellement pouvoir dire que l’on passe un mauvais moment de cinéma, on peut s’interroger sur la longueur du film, qui s’attarde à certains moments, à l’image de ce plan séquence impressionnant qui dure près de vingt minutes.