Bambi (2013) Sébastien Lifshitz
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Bambi (2013) Sébastien Lifshitz
La trans' forte
Avec Bambi, le réalisateur Sébastien Lifshitz poursuit, dans une veine documentaire entamée avec Les invisibles, un travail de mémoire mine de rien très important. C'est sa façon de militer, non pas de façon ostentatoire mais qui n'en est pas moins essentielle, car il laisse une trace de parcours de vie homosexuels ou transsexuels et l'on constate combien la lutte, consciente ou non, est prégnante dans leur existence. C'est lors de l'édition 2010 du festival Chéries-Chéris que le réalisateur rencontre Bambi. Ils dînent souvent ensemble le soir et parlent des films en compétition ; pour la petite histoire, ils décerneront leur prix à Uncle David, inédit en France à ce jour. Un soir, la transsexuelle lui raconte sa vie, et un déclic se fait sentir chez Lifshitz, qui trouve cette histoire éminemment cinématographique, et décide de réaliser Bambi.
Le début
Revenant pour la première fois, cinquante ans après, sur les lieux de son enfance, Bambi est émue. Elle est née en 1935 dans un petit village de Kabylie nommé Les Issers. Elle grandit avec sa sœur et découvre très tôt qu'elle préfère porter des robes que des pantalons. Quand sa mère l'appelle par son prénom, Jean-Pierre, elle ne répond pas car elle ne se reconnaît pas en tant que petit garçon. Mais il faut bien aller à l'école et compte tenu de la pression familiale et sociale elle décide de taire sa réelle identité. Puis le temps des études secondaires arrive et Jean-Pierre débarque à Alger, où il rencontre un homme prénommé Ludo. Il tombe amoureux de lui et une première pierre de son mur intérieur s'ébranle. Quand il retourne voir sa mère avec son compagnon, celle-ci ne comprend pas et lui dit des choses blessantes.
Analyse
Une scène des plus impressionnantes résume assez bien Bambi. Des images d'archives nous montrent un reportage des années 1950 et la voix d'un journaliste se fait entendre. Il prononce des paroles tellement horribles que les spectateurs dans la salles rient. Un rire jaune forcément, tant ces propos sont outranciers et complètement dépassés aujourd'hui. Sauf qu'en y réfléchissant à deux fois l'on se rend compte qu'on a récemment entendu des diatribes au moins aussi choquantes, voire encore pires. En l'occurrence, quand le film sort en France, soit en juin 2013, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a été promulguée, après plus de six mois de débats houleux et d'affrontements entre partisans et opposants. Autant dire que l'on n'avait pas entendu de tels propos depuis l'adoption du Pacte civil de solidarité, en 1999.
C'est dire le courage de cette femme qui ne s'est jamais posé de questions et qui a foncé dans le tas à une époque tellement conventionnelle. C'est que pour Bambi c'était uniquement de la survie : elle ne pouvait mener son existence autrement, il a fallu qu'elle la vive de cette manière, et quelle manière. Pour nous montrer ce parcours hors norme, Bambi utilise une forme des plus épurée. Nous l'écoutons durant une heure, sachant que Sébastien Lifshitz avait de quoi faire plus long, comme souvent, mais qu'il a raccourci son film à la demande de Canal Plus, qui diffusait le documentaire début juin 2013. Huit ans plus tard, il sortira une version longue, Bambi : une nouvelle femme. Les paroles de cette femme nous emportent loin, et nous emmènent dans son périple qui débute en Algérie, une étape essentielle dans son parcours de vie.
Des images d'archives, parfois personnelles, défilent sur l'écran et c'est tout un monde que nous découvrons avec Bambi. La France des années 1950, durant lesquelles elle a été meneuse de revue, est alors présentée sous le prisme des cabarets où des travestis faisaient leur show, puis la narratrice décrit très brièvement la dernière, et non des moindres, partie de sa vie. Car au début de sa trentaine, Bambi s'est rendu bien compte qu'elle ne pourra pas vivre éternellement de sa beauté, et elle s'engage dans une toute autre voie, celle de l'enseignement. On découvre alors avec stupéfaction combien elle a pu réussir cette reconversion, et on imagine les nombreusesembûches qu'elle a dû subir. C'est un peu avec la frustration de ne pas en savoir plus que nous la quittons : elle a l'air heureuse, nous le sommes de la voir épanouie.