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Dead man (1995) Jim Jarmusch

Dead man (1995) Jim Jarmusch

Published May 15, 2022 Updated May 15, 2022 Culture
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Dead man (1995) Jim Jarmusch

Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort 

D’abord il y a cette phrase, sibylline et non moins somptueuse, emprunté au poète Henri Michaux, puis apparaît le visage de Johnny Depp, sur un noir et blanc léché, enfin s’égrènent les accords envoûtants de la guitare de Neil Young. Bienvenue, vous êtes bien dans Dead man, prenez un ticket et préparez-vous à voyager loin. Loin de tout ce qu’on a déjà pu voir sur le western, Jim Jarmusch livre ici sans doute son plus beau film. Bien sûr on l’avait déjà remarqué avec Stranger than paradise, on s’était régalé devant Down by law. Seulement là on peut dire qu’il a frappé un grand coup. Pourtant il sortit bredouille d’un Festival de Cannes, où la Palme d’or fut décernée à Emir Kusturica pour Underground. Plus tard, quelques figures telles que les groupes Poney Express ou bien Dionysos feront référence au film dans certaines de leurs chansons, tandis que Roman Polanski, qui caste Johnny Depp dans La neuvième porte, y fait quelques clins d’œil.

Le début

Après le décès de ses parents, un comptable, nommé William Blake, fait le voyage en train de Cleveland vers la ville minière de Machine où il vient d’être embauché. Durant la traversée, il est agité et alterne sommeil et veille, attentif aux autres passagers, qui semblent l’ignorer, mis à part un homme au visage anguleux. Celui-ci alimente la locomotive en carburant et  lui fait des réflexions personnelles aux résonances étranges. Arrivé dans le no man’s land qui semble être une destination finale, il se voit éconduit par son employeur, le tempétueux M. Dickinson, qui lui annonce que la place qu’il lui avait pourtant promise a été pourvue par quelqu’un d’autre. Résigné, il fait la connaissance de Thel, une prostituée avec qui il passe la nuit. Mais son fiancé débarque, tue la jeune femme et blesse William. Il parvient à lui décocher une balle fatale, or il comprend qu’il s’agit du fils de Dickinson, qui ne va pas tarder à le bannir et à lancer un avis de recherche contre lui.

Analyse

C’est une émotion de prime abord esthétique que l’on ressent devant la photographie de Robbie Müller, chef opérateur néerlandais qui travailla également avec Wim Wenders et Barbet Schroeder. Au centre de Dead man, une image retient tout particulièrement l'attention, celle d’un Johnny Depp blessé, lové contre une biche morte, abattue par un chasseur. Parlons-en justement de Johnny Depp, qui obtient là un de ses plus beaux rôles, son visage hébété renvoyant parfaitement les sentiments troubles qui étreignent son personnage, Pierrot la Lune entre deux mondes et foncièrement humain. Dès le début, ce personnage sinistre qui évoque Charon nous fait comprendre le caractère funeste du voyage accompli par William, et qui se terminera, comme de bien entendu, dans une barque. Le personnage n’est alors pas en pleine forme, et cela ne va aller que de mal en pis durant le film. C’est pourtant avec une beauté fulgurante que nous allons assister à cette chute inexorable.

Les autres acteurs de Dead man ne sont pas en reste, le film bénéficiant d’une flopée de second rôles qui jouent leur partition au diapason, de Gabriel Byrne à Iggy Pop en passant par Lance Henriksen, sans oublier l’irrésistible Robert Mitchum dans son dernier rôle. Et il y a, forcément, cette musique, thème laconique et ô combien envoûtant composé par Neil Young, à qui Jim Jarmusch consacrera l’année d’après un documentaire. Cette mélopée lancinante de guitares accompagne prodigieusement le périple progressif du héros vers sa destinée, symbole typique du western, genre que Jarmusch réussit à reprendre totalement à son compte et à modeler pour en faire un objet filmique non identifié. Car au final, Dead man n’est pas vraiment un western, même s’il en récupère nombre de ses codes. C’est une métaphore poétique qui prend les archétypes du genre pour les transcender, et nous offrir une œuvre universelle, qui résonne longtemps après son visionnage.

Les Indiens ne sont ici plus des bêtes traquées ou des féroces adversaires, comme le cinéma d’Hollywood a l’habitude de nous les présenter. Ce sont des êtres humains, pourchassés par l’« homme blanc » et qui ont leurs rites propres, que l’on découvre peu à peu. Si la civilisation est pourfendue à cor et à cri par le réalisateur, c’est pour mettre en avant les paradoxes de l’être humain qui rejette les méfaits de la modernité pour ne rechercher qu’une chose tout au long du film : le tabac. Peut-être est-ce un moyen pour Jim Jarmusch de nous faire comprendre qu’en l’occurrence on ne parvient à se débarrasser d’une dépendance qu’en en cherchant une autre. Hommage au Far-West, à la poésie de William Blake ou d’Arthur Rimbaud, à Homère et à Joseph Conrad, sans oublier à la pop culture chère à Jarmusch et bien entendu au septième art (de Charlie Chaplin à Lee Marvin), Dead man est avant tout un grand film, qui offre encore des surprises après plusieurs relectures.

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