Le Traître (2019) Marco Bellocchio
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Le Traître (2019) Marco Bellocchio
Le juge et les assassins
La trame du Traître est celle d’une histoire de la Sicile et d’une des organisations criminelles les plus célèbres. La Cosa Nostra, comme préfèrent l’appeler leurs membres. Les origines de la mafia sicilienne sont débattues, de nombreux mythes fondateurs alimentant les contre-vérités. Reste que la « pieuvre » est solidement implantée lorsque Tommaso Buscetta, qui se fera appeler Don Masino, monte dans sa hiérarchie. Dès le débit des années 1960, il se fait arrêter et doit fuir l’Italie, continuant à distance ses activités délictueuses. C’est l’histoire de ce personnage que choisit de raconter Marco Bellocchio, ou plutôt une partie de son existence, quand il rencontre l’incorruptible juge Falcone et qu’ils vont faire cesser la Deuxième Guerre de la mafia, lancée au début des années 1980 par le célèbre clan des Corleonesi. Des représailles vont avoir lieu contre l’État, dont l’autorité sera remise en cause avec le procès de l’ancien Premier ministre Giulio Andreotti.
Le début
En 1980, lors de la célébration de Sainte Rosalie, les membres de la Cosa Nostra se réunissent pour signer un pacte de non-agression au regard du trafic de drogue. Sont présents l’ancienne garde de ma mafia sicilienne, et les « petits nouveaux » qui viennent de la commune de Corleone, mais aussi le fugitif Tommaso Buscetta, avec sa troisième épouse et ses nombreux enfants. Alors qu’il regarde par la fenêtre, il aperçoit son fils Benedetto sur la plage, visiblement shooté. Il le ramène dans la maison où se déroulent les festivités, et Pippo Calò minimise la situation, considérant que Benedetto « a l’air fatigué », ce qui ne plaît pas beaucoup au père du jeune homme. Il discute avec son épouse de leur prochain départ pour le Brésil, et elle semble inquiète du fait qu’ils ne prennent pas avec eux les fils de Tommaso. Celui-ci botte en touche, prétendant qu’ils seront mieux dans leur pays de naissance. Tous les parrains et leurs proches se réunissent alors pour la photo « de famille ».
Analyse
Le premier tiers du Traître est loin d’être passionnant. On a vu trop souvent ces scènes d’assassinats violents menés par des sauvages au rythme d’un compteur. La complexité de la situation n’arrange rien, surtout pour un non-initié, et la litanie des noms des personnes qui sont tuées ne produit finalement pas l’effet escompté. Tout au plus est-on scandalisé par la brutalité du geste quand un jeune homme se fait couper la main avant d’être fusillé. Le personnage de Buscetta, qui est censé être au centre du récit, ne prend de l’ampleur que plus tard, lors de sa rencontre avec le juge Giovanni Falcone. On pourrait d’ailleurs reprocher à Marco Bellocchio de ne pas accorder plus d’importance à cette figure de la lutte de l’antimafia, sans doute parce que de nombreuses fictions ont déjà raconté son histoire, Mais les raisons qui motivent le changement de stratégie de Buscetta, qui décide de brise l’omerta pour passer aux aveux, sont trop brièvement évoquées.
Ceci mis à part, Le traître est un film assez impressionnant. Sa mise en scène contient quelques petites pépites, dont cet accident de voiture monumental et surprenant qui causera la mort du juge Falcone. Tout aussi intéressant est ce parti-pris de choisir, à quelques rares moments clés du récit, de filer la métaphore animale. Ainsi un assassinat sera entrecoupé d’un reportage animalier sur les hyènes dans la savane, tandis que des mafiosi derrière les barreaux seront comparés à des lions en cage. Ce dispositif fictionnel donne de la chair à une histoire qui colle en tout point aux faits, ce qui sans cela pourrait rapprocher le long-métrage de la forme documentaire. Le scénario est en effet très, voire trop linéaire, malgré quelques flashbacks assez pertinents. On retient en particulier cette incise dans le récit, qui raconte un épisode assez révélateur de la « carrière » de Buscetta, et qui permet de clore le film en ne laissant aucun doute sur les intentions de l’auteur.
On se rend tout de même compte en regardant Le traître que Marco Bellocchio a dû prendre pas mal de risques pour arriver à boucler son financement et à sortir son film, surtout en Italie. Il n’épargne aucun détail des agissements de la mafia ainsi que de ses relations avec certains officiels alors en poste. Certes, les événements qu’il retrace datent d’il y a quarante ans mais la Cosa Nostra, bien qu’affaiblie, est toujours en activité. Malgré ces dénonciations et le sérieux de son propos, il n’hésite pas à agrémenter son film de quelques petites touches d’humour ici ou là disséminées. Les scènes de procès sont en particulier rocambolesques, et on ne doute pas qu’elles sont très proches de ce qu’a dû être la réalité. On assiste à un barnum où les uns et les autres se coupent la parole et s’insultent, ne tenant pas compte des remarques d’un juge qui semble dépassé. Au final, le film restera, à la fois en tant qu’objet de mémoire et d’œuvre artistique accomplie.