Le mépris (1963) Jean-Luc Godard
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Le mépris (1963) Jean-Luc Godard
Je t’aime, moi non plus
En 1963, la Nouvelle Vague est en plein essor : François Truffaut a réalisé Les 400 coups, Alain Resnais a sorti L’année dernière à Marienbad et Claude Chabrol Les bonnes femmes. Mais de l’avis de tous, le déclencheur fut À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Le réalisateur trublion sort alors un grand coup avec Le mépris. Car avec sa toute fraîche notoriété il se paye le luxe de monter un projet de grande envergure avec la star mondiale du moment qu’est Brigitte Bardot. Il faut se souvenir du mythe que représente l’actrice à l’époque : une célébrité qui dépasse largement les frontières hexagonales, une femme qui représente à elle seule le charme français dans le monde entier. Et si on peut légitimement être étonné du mélange des genres qu’elle apporte dans le cinéma de Godard, il faut bien avouer que le résultat est des plus surprenant.
Paul est un scénariste français qui vit à Rome avec sa femme Camille. Un producteur américain, Jérémy Prokosch, fait appel à lui pour remanier le scénario d’un film qu’il monte actuellement sous la direction de Fritz Lang. À la fois fasciné et exacerbé par ce producteur sans scrupules, Paul va peu à peu commettre quelques maladresses qui vont amener Camille à se détacher de lui, voire même à le mépriser. Le couple survivra-t-il de ces incessantes disputes qui malmènent le tournage ? Camille finira-t-elle par succomber aux avances peu discrètes de Jérémy Prokosch ?
On peut dire que Le mépris c’est l’histoire d’un amour, ou plutôt celle d’un désamour. Qu’est-ce qui va faire que Camille, qui semble aimer si tendrement son mari au début du film, se met à ne plus l’aimer, voire pire encore ? Ce n’est pas ce qui intéresse fondamentalement Jean-Luc Godard. Car finalement le film est l’histoire d’un couple, cet homme et cette femme qui finalement, ne sont pas fait pour vivre ensemble. On sent le fantôme de Roberto Rossellini et de son Voyage en Italie planer tout au long du film : mêmes statues antiques qui scrutent les personnages du haut de leur majesté, même constat amer sur l’incompatibilité de deux êtres confrontés à leur destin. Deux figures archétypales s’affrontent : l’homme, faillible et lâche parfois, la femme, futile et désirable à la fois.
On peut aussi dire que Le mépris c’est aussi l’histoire du cinéma, ou d’un certain type de cinéma. Jean-Luc Godard affiche ici par l’intermédiaire de son personnage ses doutes prophétiques quant à l’avenir du septième art, condamné à perdre de son indépendance et à finir dans les mains des producteurs. Mais il réalise en même temps une ode à son art de prédilection en filmant avec de longs travellings les paysages splendides de Capri, en nous montrant les coulisses d’un tournage, et pas n’importe lequel, à travers le personnage incarné par Fritz Lang, figure tutélaire s’il en est.
Et puis l'on peut dire que Le mépris c’est surtout une lutte tragique et fatale, celle des hommes contre les dieux. Les humains, incarnés ici par un Michel Piccoli habité comme rarement, et par une Brigitte Bardot plus « BB » tu meurs. On ne sait plus qui de Camille ou de Brigitte il est ici question, peu importe : c’est justement ça que recherchait Jean-Luc Godard. Ces deux êtres fragiles luttent comme des pantins contre leur destinée, et ce n’est pas Ulysse qui nous contredira. Le mépris est une pierre angulaire dans le cinéma français, un objet singulier dans la carrière de Godard et Bardot, une rare pépite qui se dévoile encore plus avec les visionnages réitérés. C’est la Nouvelle Vague, c’est la musique de Georges Delerue, c’est nous, c’est vous, c’est tout ça à la fois.